Alors pourquoi cette guerre ? Comment ? Quelles sont les conséquences pour les internautes ? Vous le saurez dans cet article rédigé par notre correspondant digital : Bernard Henry Cyroul.
Tout a commencé en Aout, par la montée de la pression de Google / Verizon concernant la neutralité du net. Car on parle beaucoup de net-neutralité pour dénoncer la surveillance de l’état, mais on oublie que les grands géants américains peuvent regarder vos données privées sans forcément risquer quoique ce soit (de toutes façons, vous ne le saurez pas). Google, voulant imposer l’idée de net-neutralité au Congrès, s’est vu confronté à un Facebook sans philosophie, à part celle du profit.
Ensuite se sont multiplié les escarmouches de plus en plus violentes. Réponse de Facebook : nous ne voulons pas ouvrir notre API pour permettre aux acteurs d’Internet d’utiliser “nos” bases contacts (et oui, pauvre internaute, les infos que tu as mis sur FB ne sont plus à toi). Réponse de Google : et bien dans ce cas, vous n’avez plus le droit d’utiliser notre API permettant de récupérer votre carnet d’adresse Gmail sur Facebook. Réponse de Facebook : et bien on va tricher alors.
Ces passes d’arme annonçaient la suite : le lancement en grande pompe de Facebook mail, outil de consultation d’e-mail sur FB. On se pose alors la question : Facebook Messages attaque-t’il le Gmail de Google ou celui de Microsoft : hotmail ?
Est-ce une guerre idéologique ? D’un côté, un Google voulant protéger les données personnelles de l’ingérence et de l’autre un Facebook voulant les garder pour lui ? Non, la réalité est plus triste que ça. Il s’agit d’une guerre des carnets d’adresse. Car ce qui est encore plus intéressant que vos photos de vacances où vous êtes saouls, ce sont vos contacts et leurs adresses e-mail. Un profil simple n’intéresse par ces entreprise. Mais un profil de 150 “amis” devient beaucoup plus profitable. Facebook a construit sa valorisation sur cette notion de “réseau personnel profitable”.
Google ne l’avait pas compris (ou ça ne l’intéressait pas). Il y avait bien Google Profile, mais il ne servait pas à grand chose (une sorte d’agrégateur mélangé à un wall insipide). Et pourtant Google avait tout pour créer le plus grand réseau social du monde mais s’est égaré sur des projets à la Google Buzz (sorte de wall privé-public qui a bad-buzzé).
Et puis le 26 juin de cette année, il y a eu le tweet de Kevin Rose (le fondateur de Digg) qui annonçait un projet “Google Me“. Basé sur les profiles, ce Google Me serait la réponse de Google à Facebook. Un Facebook ergonomique, à l’API ouverte, avec la possibilité de profiter des outils Google ? Tentant (et donc buzzant). D’après Eric Schmidt (le CEO de Google), Google Me devrait même arriver cet automne (ils doivent bosser en ce moment chez big G)…
C’est la conjonction entre le lancement de “Google Me” et la pression de Google pour les formats ouverts qui a déclenché officiellement la guerre des carnets d’adresse. Mais il serait faux de penser que cette guerre n’aura lieue qu’entre les 2 grands. Non, d’autres belligérants vont se joindre à la bataille.
Car il y a beaucoup d’acteurs qui s’intéressent à l’identification numérique.
Tout d’abord les grands puissances :
Google et Facebook évidement, mais aussi Yahoo et son Yahoo ID comme j’en parlais en 2007 (Yahoo qui utilise une stratégie d’adossement à d’autres acteurs comme Twitter ou Zinga).
Et puis il y a les challengers en place:
Windows Live (qui continue d’essayer de se vendre), Twitter (qui s’installe tranquillement en essayant d’être le plus discret possible), Linkedin (qui commence à ouvrir de plus en plus son API).
Mais vont aussi se joindre à la bataille ceux qui développent des identifiants numériques depuis longtemps sous le nom d’identifiant client. On y trouve les réseaux verticaux (thématiques) comme Ping par exemple (qui fait se rapprocher Apple et Twitter), mais aussi tous les programmes de Social CRM (Nike avec son Nike ID, Nokia, Amazon), ou les projets d’identifiant uniques certifiés basés (j’ai découvert hier soir au Lab de SFR, un projet en fonction d’identifiant unique basé sur la carte SIM de votre téléphone).
Et il y a les futurs perdants :
AOL, Myspace, et même Skyrock, qui ont trop traîné avant de se mettre à exploiter leurs connectés. Mais il y a aussi tous les réseaux sociaux localisés ou spécialisés : les Tuenti (en Espagne), Bebo (en Angleterre), Trombi et copainsdavant, etc. qui, par manque d’ambition (ou de courage de leur financements), n’ont pas privilégié des protocoles ouverts et se sont contentés de capitaliser leur base client, sans investir et développer leur activité. Un modèle économique statique, qui, même si il a généré pas mal de profit (on l’espère pour eux), s’avère au final être un beau gâchis quelques années après. Sur Internet, tu évolues ou tu meurs.
Et il y a ceux qu’oublie toujours:
Car on parle beaucoup de Facebook, “le plus grand réseau social du monde”, mais l’occident n’est pas le monde. Et beaucoup de grands réseaux sociaux étrangers ne voient pas du tout leur suprématie menacée par Zuckerman. Je pense notamment à Vkontakte et Odnoklassniki en Russie, à Mixi au Japon, Qzone en Chine ou encore Orkut au Brésil (d’ailleurs Orkut a été acheté par Google).
Il y a également toutes les volontés de standardisation (et d’ouverture véritable) de ces identifiants de connexion. OpenID, OpenSocial et DataPortability, etc. Mais je laisse Fred Cavazza vous en parler, il le fera mieux que moi. On attend aussi la sortie de Diaspora, le réseau gratuit-open-source-libre, censé être un concurrent de Facebook, et qui sortira… peut-être un jour.
Dans la vraie vie, les guerres sont déclenchées par ceux qui y trouvent un intérêt économique au détriment des populations qui les subissent. Sur Internet, c’est le contraire. Les guerres seront au profit des internautes, pour la plus grande consternation des actionnaires.
Car, il faut savoir qu’Internet est le paradis des monopoles. Il faut donc que des ajustements se produisent, que des contrepoids se créent. Et les guerres digitales servent à ça : mélanger les cartes pour le plus grand bonheur des participants (mais pas du monopoliste).
Rappelez-vous l’hégémonie de Microsoft dans les années 90. Elle semblait immuable et inéluctable pour notre plus grande consternation (essayez de débugger une page html sous IE5 Mac pour voir). Et puis, les affrontements contre la suprématie Microsoft ont commencées.
Et aujourd’hui, nous avons plus d’OS et de navigateurs que jamais, pour notre plus grand confort. Microsoft a même été obligé de sortir un Windows 7 pas trop mal. Quelle évolution en 10 ans. Et tout ça grâce à ces guerres digitales (Google en fait les frais aujourd’hui).
La guerre des carnets d’adresse est bénéfique.
La compétition est donc indispensable sur Internet. Certes, elle agacera les faux-professionnels du marketing digital qui vous ont conseillé votre appli FB à 350 k€, les directeurs des achats ou les responsables informatiques des grosses boites qui ont investi dans telle ou telle technologie à la mode ce mois-ci. Ces métiers seront obligés de réfléchir sérieusement à leurs investissements et choix stratégiques, en bref, de faire leur travail sans se planter.
Cette compétition fera le bonheur des internautes, et de ceux capables d’anticiper les évolutions. Alors vive la compétition digitale, vive la guerre (je n’aurais jamais cru écrire ça un jour) !
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Article initialement publié sur le blog de Cyroul
>> Photos flickr Constantine Belias ; Paul Walsh
]]>Facebook a annoncé hier soir sa nouvelle messagerie « sociale » qui a pour but d’agréger l’intégralité des échanges entre deux personnes, qu’ils soient issus d’un chat, de SMS ou de courriels.
À ce titre, même si Facebook se défend de vouloir tuer l’e-mail (dont les poids lourds sont Hotmail et Yahoo aux États-Unis avec à eux deux presque autant de comptes que Facebook !), il est clair que la société du petit Mark essaye de réinventer un outil vieillissant mais toujours très utilisé.
Il essaye surtout d’éviter l’écueil rencontré par Google et Wave : en clair, on vous rend d’abord service en agrégeant les conversations, et en vous donnant un outil intelligent vous permettant de trier entre messages importants (ses amis proches) et moins importants (les messages d’invitation à des groupes, des soirées, des contacts moins récurrents).
Et seulement si vous le voulez, s’ouvrir sur sa messagerie actuelle en échangeant avec les personnes qui n’ont pas Facebook.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
C’est là que la mécanique virale de type « stratégie du dealer » entre en jeu : en se connectant à des personnes qui n’ont pas Facebook mais qui ont un courriel, Facebook les intègre dans sa base.
Outre grossir artificiellement le nombre d’utilisateurs potentiels, le réseau de Mark Zuckerberg va peu à peu devenir l’outil indispensable pour les deux parties (l’utilisateur de Facebook et celui de courriel), poussant l’utilisateur de courriel à aller vers Facebook car finalement « s’il était membre de cette communauté il pourrait avoir accès à bien plus sur ses amis » : photos, invitations, statuts, etc. Ce que ne manquera pas de lui faire remarquer son amis facebookien (je suis en train de faire cela avec ma petite sœur, c’est vous dire si je vois très bien la mécanique se mettre en place).
Conclusion : Facebook Mail ne veut pas tuer le mail, et c’est vrai. C’est au contraire un formidable outil de recrutement et d’évangélisation basé sur des usages de chaque côté de la barrière : « le mail c’est limité regarde tout ce que tu peux faire avec Facebook. » / « Finalement ma boite mail elle est limitée et j’y reçois des tonnes de spam, sur Facebook il n’y a que mes amis qui me parlent et tout est agrégé simplement. »
Sans oublier que c’est un nouveau levier pour augmenter la captation de temps passé sur le réseau et afficher plus de pub. D’ailleurs, rien ne dit que Facebook ne va pas screener les messages à la mode Gmail pour associer des annonces de marques ou bien proposer des rapports d’usages à des marques présentes sur la plateforme.
Côté Gmail, Google a d’abord proposé Buzz, pour agréger les flux sociaux de type « statut » (Twitter, Friendfeed…), puis a sorti assez discrètement en septembre 2010 une boite aux lettres « intelligente », basée sur la fréquence d’utilisation et de réponse à certains messages, et triant automatiquement les messages importants ou pas pour l’utilisateur.
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Mais le tri reste basé sur le contenu, pas sur les interactions sociales. C’est là qu’intervient Facebook et la force de son “social graph”, qui devient l’outil d’analyse pour classer l’information non pas en fonction de sa teneur mais de son émetteur et de sa proximité sociale.
Facebook ne veut donc pas tuer le mail mais le ré-inventer en douceur, toujours en s’appuyant sur sa force première : les usages sociaux de sa communauté de plusieurs centaines de millions de membres.
Tout en posant les incontournables questions de confidentialité des échanges, et de marchandisation de ceux-ci, Facebook ainsi en sa possession une formidable base de données qui comporte à la fois les profils des membres, les actions de ceux-ci en temps réel (statuts) ou différé (photos…), leurs goûts (I Like), leurs envies (invitations, pages de fans), et maintenant une vision précise de qui échange fortement avec qui y compris en dehors de la plate-forme (avec, à la clé, l’affinage du graphe social, la base de l’algorithme du site).
Une mine d’or pour les marques, une datamining hallucinant, et, il faut le reconnaitre, une addiction toujours plus forte des utilisateurs qui voient leurs usages placés au centre du mécanisme. Superbe piège.
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Billet initialement publié sur Stan et Dam
Image CC Flickr smlions12
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