OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 L’espion était dans le .doc http://owni.fr/2012/09/14/lespion-etait-dans-le-doc/ http://owni.fr/2012/09/14/lespion-etait-dans-le-doc/#comments Fri, 14 Sep 2012 13:16:34 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=119606 Trojan Horse 2011 cc quantumlars

Trojan Horse 2011 cc quantumlars

Colères d’Arabie : le logiciel espion

Colères d’Arabie : le logiciel espion

Cruel paradoxe de ce printemps arabe : les défenseurs des droits de l'homme bahreïnis utilisent les réseaux sociaux ...

Fin juillet, on découvrait que le logiciel espion du marchand d’armes de surveillance numérique britannique FinFisher avait été utilisé à l’encontre de défenseurs des droits humains bahreïnis. En août, on découvre que des journalistes marocains ont, eux, été ciblés par Hacking Team, un concurrent italien de FinFisher.

Mamfakinch (“nous n’abandonnerons pas“, en arabe marocain), est un site d’informations créé par un collectif de blogueurs et militants marocains dans la foulée du printemps arabe, et plus particulièrement du mouvement dit du 20 Février, qui appelait notamment à l’ouverture d’une enquête sur “les arrestations arbitraires et les procès expéditifs », et à la « rupture avec la logique de répression face au droit des manifestations pacifiques“. Devenu, en moins d’un an, l’un des médias citoyens les plus populaires au Maroc, il a plusieurs fois fait l’objet d’attaques ou de tentatives de déstabilisation visant à le faire taire.

Ce 2 juillet 2012, Google et GlobalVoices remettait à Mamfakinch un Breaking Border Awards, prix créé pour honorer les sites qui s’illustrent par leur défense de la liberté d’expression sur Internet. Le 20 juillet, la rédaction de Mamfakinch recevait un email intitulé Dénonciation, accompagné d’une pièce jointe, scandale (2).doc, et d’une phrase sibylline en français :

Svp ne mentionnez pas mon nom ni rien du tout je ne veux pas dembrouilles…

Appâtés, les journalistes tentent d’ouvrir le fichier joint… sans succès. Intrigués, et doutant de la véracité du mail, ils le font suivre à Abderahman Zohry, co-fondateur de Mamfakinch et du Parti pirate marocain, mais également directeur technique de DefensiveLab, une société de sécurité informatique marocaine. Anas El Filali, blogueur et principal actionnaire de Defensive Lab, a raconté à Yabiladi, un site d’information marocain, qu’en analysant le document, les hackers de son entreprise ont découvert un virus qui n’avait encore jamais été identifié :

Ce dernier prend pour cible les machines qui tournent sous MAC OS et Windows, et il était encore indétectable par les antivirus. Un document Word contenait un code exploitant une faille existante dans le composant Flash afin d’installer le cheval de Troie.

Techniquement, une attaque de ce genre peut donner à l’attaquant un accès à toutes les données de l’ordinateur infecté, ainsi que d’enregistrer tout le trafic entrant et sortant (discussions et contacts MSN, Skype, mots de passe, touches tapées et URLs visitées sur le navigateur…).

Des chevaux de Troie dans nos démocraties

Des chevaux de Troie dans nos démocraties

OWNI lève le voile sur les chevaux de Troie. Ces logiciels d'intrusion vendus aux États, en particulier en France et en ...

Le 24, Lysa Meyers, une des chercheuses d’Intego, une société de sécurité informatique spécialisée dans l’univers Mac, découvre le cheval de Troie, que DefensiveLab a envoyé à Virus Total, un site qui permet à tout internaute de passer n’importe quel fichier au travers des scanners de 41 éditeurs d’anti-virus, et que Google vient de racheter.

Le 25, Lysa Myers publie un nouveau billet expliquant comment le logiciel malveilant fonctionne, révélant qu’on y trouve des bouts de code évoquant le nom d’un concurrent italien de FinFisher, Hacking Team. Son cheval de Troie, Remote Control System Da Vinci (RCS, pour “système de contrôle à distance“), présenté comme une “suite de hacking pour l’interception gouvernementale“, se targue de pouvoir pirater n’importe quel système informatique, afin de pouvoir surveiller, espionner et récupérer tout type de données sur les ordinateurs infectés.

Des dizaines d’articles ont relayé cet été, dans la foulée, la découverte de ce nouveau cheval de Troie, surnommé Crisis par Intego, Morcut par Sophos, ou encore BackDoor.DaVinci.1 par Dr.Web -qui qualifie Hacking Team de “criminels“. Depuis, les éditeurs d’anti-virus rivalisent de communiqués pour annoncer qu’ils avaient rajouté le cheval de Troie dans la liste des logiciels malveillants, de sorte qu’ils ne puissent plus contaminer les ordinateurs de leurs clients.

Un gros requin de l’intrusion

Un gros requin de l’intrusion

En partenariat avec WikiLeaks, OWNI révèle le fonctionnement de FinFisher, l'une de ces redoutables armes d'espionnage ...

A ce jour, 26 éditeurs d’antivirus détecteraient le cheval de Troie de Hacking Team, et 36 celui de FinFisher, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes à ces marchands d’armes de surveillance numérique. D’une part parce que l’on en sait un peu plus sur leurs technologies, et donc comment s’en protéger, d’autre part parce qu’ils se targuaient, auprès de leurs clients, d’avoir créé des chevaux de Troie que les antivirus ne détectaient pas.

FinFisher, Hacking Team et leurs quelques concurrents défendent leurs logiciels espions en expliquant qu’ils ne le vendent qu’à des services de renseignement, forces de police et gouvernements, et qu’ils ne seraient donc utilisés que dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou la criminalité. On a désormais la preuve qu’ils servent aussi à espionner des défenseurs des droits humains et journalistes.

Les autorités britanniques, de leur côté, viennent d’annoncer que FinSpy avait été placé dans la liste des “technologies duales” dont l’exportation, hors union européenne, doit être dûment autorisée.

Le blocage des chevaux de Troie par les antivirus, ainsi que la décision britannique de contrôler leur prolifération, constitue un tournant. Et la facture pourrait s’avérer salée : David Vincenzetti, le fondateur de Hacking Team, avait expliqué en novembre 2011 qu’il commercialisait la licence de RCS Da Vinci pour 200 000 euros, par an. D’après Ryan Gallagher, un journaliste de Slate qui l’avait rencontré en octobre 2011, RCS a été vendu depuis 2004 “à approximativement 50 clients dans 30 pays sur les cinq continents“. FinSpy, à en croire cette proposition de contrat trouvée en mars 2011 dans l’un des bâtiments de la sécurité égyptienne après la chute du régime Moubharak, serait vendu, de son côté, près de 300 000 euros.


Image CC quantumlars du Trojan Horse de Burning Man 2011.

]]>
http://owni.fr/2012/09/14/lespion-etait-dans-le-doc/feed/ 49
Marine Le Pen se plante au Maroc http://owni.fr/2012/03/28/marine-le-pen-se-plante-au-maroc/ http://owni.fr/2012/03/28/marine-le-pen-se-plante-au-maroc/#comments Wed, 28 Mar 2012 17:21:08 +0000 Pierre Leibovici http://owni.fr/?p=103965 OWNI-i>TÉLÉ. En tête depuis dix jours, Jean-Luc Mélenchon creuse encore un peu plus l'écart, tandis que Marine Le Pen reprend sa chute au bas du classement.]]>

Le temps est au changement dans le classement du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude de toutes les déclarations chiffrées ou chiffrables des six principaux candidats à l’élection présidentielle. Pendant que Jean-Luc Mélenchon renforce ses positions à la tête du classement – avec 63,4% de crédibilité, François Bayrou s’éloigne à nouveau de la troisième place occupée par François Hollande.

Ces dernières 24 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 42 citations chiffrées des candidats à la présidentielle.

C’est une chronique un peu spéciale que nous vous proposons aujourd’hui, puisqu’elle concerne les “serpents de mer du Véritomètre”, ces données introuvables dont l’équipe n’aurait réussi à se départir sans une précieuse aide, celle des internautes que nous avons interpellés sur Twitter et Facebook.

Manque de culture marocaine chez Marine Le Pen

Pour illustrer le manque de compétitivité de l’agriculture française, Marine Le Pen a choisi d’estimer le coût horaire du travail agricole au Maroc. Lors de son marathon télévisé dans l’émission Parole de candidat, le 5 mars dernier, elle déclarait ainsi :

Les Marocains, ils sont payés cinq euros de l’heure, les ouvriers agricoles marocains.

Une statistique que l’équipe du Véritomètre avait tenté de chercher sur les sites du Haut commissariat marocain au Plan, de l’ambassade de France au Maroc ou encore de la Banque mondiale. En vain. La solution s’est avérée plus simple, elle nous a été soufflée par @Brevesdetrott, qui a eu la bonne idée de fouiller le site du ministère marocain de l’Emploi et de la Formation professionnelle.

Résultat : la candidate du Front national surestime très largement le coût du travail agricole de l’autre côté de la Méditerranée. La statistique que nous avons trouvée et qui se rapproche le plus du chiffre évoqué par Marine Le Pen est celle du salaire minimum journalier dans l’agriculture, sur le site du ministère marocain de l’Emploi, donc. Il s’élevait à 60,63 dirhams en 2011, soit environ 5,5 euros de 2011, si l’on s’en tient au taux de change donné par le ministère des Affaires étrangères. Les ouvriers agricoles marocains ne sont donc pas payés près de 5 euros par heure, mais par jour.

Dans sa volonté de décrire le défaut de compétitivité de la France face au Maroc, Marine Le Pen eût été mieux avisée de ne pas surestimer le coût du travail agricole outre-Méditerranée.

Nicolas Sarkozy bride l’export

C’était l’une des premières interventions vérifiées par l’équipe du Véritomètre, l’interview sur huit chaînes de télévision du Président – encore présumé candidat – le 29 janvier 2012. Nicolas Sarkozy avait alors choisi de privilégier “l’exemple allemand”, comme OWNI le décryptait le lendemain, qui fait bien mieux que la France à l’export :

Nous avons 100 000 entreprises qui exportent en France.

Avec une précision digne des plus fervents vérificateurs de données, @Keyridan a sorti de terre pas moins de quatre statistiques différentes sur le nombre d’entreprises françaises qui travaillent à l’exportation. Celle que nous avons retenue provient d’une étude du ministère des Finances [PDF], publiée en août 2011, qui évaluait leur nombre à 125 111 en 2010 (page 4). Soit 20,1% de moins que l’estimation de Nicolas Sarkozy, qui manque décidément de confiance en l’appareil exportateur français.

François Hollande n’aime pas les riches

L’UMP a pour habitude de lui rappeler, François Hollande avait bel et bien déclaré en 2006 : “Je n’aime pas les riches, j’en conviens”. Six ans plus tard, et avec un peu plus de diplomatie, le candidat socialiste s’en prend d’abord aux plus aisés qui délaissent la France, les exilés fiscaux. Dont il dit, dans une interview à RTL, le 29 février dernier :

Le bouclier fiscal il avait été inventé par Nicolas Sarkozy pour faire revenir des capitaux.. Aucun n’est revenu !

Le désormais célèbre “bouclier fiscal” désigne la mesure instaurée par la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat (TEPA), et limitant à 50% de ses revenus le maximum d’impôts directs payés par un contribuable, contre 60% auparavant.

Bien que supprimé depuis, les incidences du bouclier fiscal restent difficiles à estimer, notamment pour l’équipe du Véritomètre qui n’avait trouvé aucune donnée officielle à l’époque de cette vérification.

Heureusement, @arnocast nous a mis sur la piste d’un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires datant de mai 2011 [PDF], et mentionnant le solde de départs et de retours en France de contribuables assujettis à l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Ses résultats (page 294) confirment ici le propos de François Hollande. Pour le début du quinquennat, du moins – des données plus récentes n’étant pas encore disponibles -, 982 contribuables qui payaient l’ISF ont quitté la France en 2007 et 2008.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
Retrouvez toutes nos vérifications sur le Véritomètre et nos articles et chroniques relatifs sur OWNI
Illustrations par l’équipe design d’Owni /-)

]]>
http://owni.fr/2012/03/28/marine-le-pen-se-plante-au-maroc/feed/ 4
Ceuta, tombeau du rêve européen http://owni.fr/2011/02/18/ceuta-tombeau-du-reve-europeen/ http://owni.fr/2011/02/18/ceuta-tombeau-du-reve-europeen/#comments Fri, 18 Feb 2011 10:32:20 +0000 Loic H. Rechi http://owni.fr/?p=47442 Morts aux frontières. Voilà une expression macabre qui colle avec l’image ancrée dans mon esprit après des mois à étudier cet insignifiant morcif d’Espagne de moins de 20 km2 situé sur le territoire du bon roi Mohammed VI.

Ceuta la pute consanguine. Je m’y suis rendu en mars 2010, avec mon pote réalisateur Jonathan Millet pour les repérages d’un documentaire. Je ne saurais dire comment a surgi cette métaphore crasseuse mais elle ne nous a pas lâché les trois premiers jour qu’on a passés là-bas. L’atmosphère y est poisseuse, le micro-climat du détroit de Gibraltar n’y étant sans doute pas étranger. Le centre-ville, similaire à n’importe quel autre en Espagne avec son Zara, ses bazars chinois, ses petites cafétérias et sa promenade maritime contraste amplement avec le reste de l’endroit, quelque part à la croisée entre une forêt et un terrain vague urbain.

On aurait pu faire la traversée en ferry depuis Algeciras en Espagne, une station balnéaire située à une quinzaine de bornes à vol de d’oiseau mais on n’avait pas trop de pognon, alors on a pris un avion jusque Tanger, puis un bus jusque Fnideq, la dernière ville marocaine avant de passer du côté espagnol. Entre les deux, il faut traverser le Tarajal, un poste frontière dégueulasse et grillagé où règne une atmosphère de suspicion permanente. Chaque jour des milliers de Marocains et de Marocaines s’y entassent.

La plupart d’entre eux vit d’un petit commerce frontalier de contrebande plus ou moins toléré en échange de quelques bakchichs à l’attention de douaniers qui savent fermer les yeux quand on sait les caresser dans le sens du poil. Cette frontière, c’est le symbole même de Ceuta, une enclave européenne coincée au nord de l’Afrique et précautionneusement protégée des flux de migrants grâce à un mur de grillage surveillé comme l’Elysée. Un double rideau de trois mètres cinquante de hauteur et neuf kilomètres de long, des militaires qui le parcourent jour et nuit sans relâche et un nombre de miradors à faire pâlir le directeur de Fresnes. La Valla comme on l’appelle là-bas est un petit bijou de ségrégation. Elle aura coûté trente millions d’euros payés par l’Union Européenne en 1999, c’est à dire avec votre pognon.

Pour comprendre à quel point Ceuta est une terre de cadavres, il n’est pas nécessaire de remonter très loin dans le temps. Après avoir été la porte d’entrée de l’immigration subsaharienne vers l’Europe pendant des décennies, le mois de septembre 2005 s’inscrit comme une rature sanglante dans les lignes des flux migratoires locaux. A l’époque, plusieurs dizaines de migrants, las d’attendre dans les forêts adjacentes du côté marocain, prennent d’assaut la Valla, et tentent de franchir – par complet désespoir – le double rideau qui les sépare de l’Europe. Le carnage qui s’ensuit laisse sans voix.Selon les chiffres officiels, treize migrants sont shootés sans qu’on ne sache réellement s’ils sont tombés sous les balles des militaires espagnols ou marocains. Pour des centaines d’entre eux, c’est retour à la case départ. Ils sont embarqués dans des camions et abandonnés dans le désert ou jetés en prison. Le témoignage de Mahadi Cissoko, l’un des Maliens qui ont survécu à la terrible nuit du 28 septembre 2005 surpasse probablement toute description qu’un journaliste pourrait rapporter:

Nous revenons de l’enfer. Nous savions que les chemins que nous empruntions pour entrer en Espagne sont pleins d’embûches, mais nous ne pouvions pas imaginer cette rage et cette haine des forces de sécurité marocaines et de la Guardia, la police espagnole. Quelles instructions ont-elles reçues? Que leur a-t-on dit à notre sujet pour qu’ils nous brisent ainsi les os et le moral? Lors du premier assaut à Ceuta, dans la nuit du 28 au 29 septembre, les militaires marocains surpris ont réagi à coups de fusil, en tuant deux personnes.

Après que nous ayons franchi la première grille, nous étions à la recherche des issues à emprunter pour être dans Ceuta sans avoir à escalader la deuxième grille du haut de laquelle nous étions des cibles faciles. La Guardia a réagi en barrant les entrées avec leurs véhicules et en tuant quatre personnes. Ils nous ont ensuite regroupés, nous qui n’avons pas pu passer. Nous nous sommes assis et avons refusé de bouger. A partir de l’un de nos portables, nous avons pu joindre Elena, une militante espagnole des droits de l’homme qui est basée à Tanger et qui nous a rendu d’énormes services quand nous étions cachés dans la forêt. Nous ne l’oublierons jamais. Elle nous a suggéré de rester là où nous étions, jusqu’au lever du jour. Mais la Guardia nous a tellement brutalisés que nous avons cédé. Ils nous ont alors ligotés deux à deux avant de nous livrer aux Marocains qui nous ont conduits en prison.

Un militaire marocain, de l'autre côté de la barrière

Pour autant, le drame de Ceuta ne se joue pas qu’à la périphérie de son territoire. Chaque jour un tout petit nombre arrive à braver le mur et pénètre en territoire espagnol, caché – ou plus exactement encastré – dans le tableau de bord ou les carénages de bagnoles conduites par des passeurs marocains. Et on n’y trouve pas que des Africains. Là-bas, on a passé pas mal de temps avec Gurjeet, un Indien de 25 ans bloqué depuis trois ans dans cette prison à ciel ouvert. Si Ceuta fait bien partie de l’Europe, elle n’appartient pas pour autant à l’espace Schengen, empêchant de facto quiconque ne dispose pas du bon passeport, à traverser le bras de mer de quinze kilomètres à bord d’un de ces ferry confortables qui desservent le continent plusieurs fois par jour. Si Gurjeet est aujourd’hui bien vivant pour témoigner, on perçoit au premier regard qu’un ressort est irrémédiablement cassé chez le garçon. Les deux interminables années passées à zoner du Mali au Maroc ont été jalonnées de cadavres, comme autant de cicatrices morales:

Je suis parti de chez moi il y a cinq ans. Mon voyage a réellement commencé en Afrique. J’ai pris l’avion depuis New Delhi et je suis arrivé en Ethiopie où j’ai passé à peine une heure. Je suis ensuite monté dans un autre avion jusqu’au Mali et j’ai passé deux mois là-bas. Au bout d’un moment notre passeur nous a dit qu’on était obligé d’attendre, le temps d’obtenir un nouveau visa qui nous permettrait d’aller directement en Espagne. On a attendu encore longtemps mais le passeur ne donnait plus de nouvelles. C’est alors un nouveau voyage qui a commencé, en bus cette fois, et on est arrivé dans une nouvelle ville à quasiment deux mille kilomètres de là (nda : selon toute logique, à la frontière entre l’Algérie et le Mali). On a passé sept jours à attendre. Plus de nouvelles du passeur. Finalement on a repris la route, en voiture, et on est arrivé dans le désert du Sahara. Nous avons eu énormément de problèmes, de nourriture et d’eau notamment. Certains de mes compagnons de route sont tombés malades et d’autres sont morts à cause de la faim, de la soif ou de l’absence de médicaments. Les piqûres d’insectes étaient aussi un vrai problème. Au final, quatre de mes amis sont morts en chemin parce qu’ils n’avaient pas les forces nécessaires pour endurer un tel voyage, sous une telle chaleur.

Et le calvaire de Gurjeet ne s’est pas arrêté là. Avant de réussir à pénétrer dans Ceuta au bout de sa sixième ou septième tentative, il s’est fait dépouiller plus de quinze mille euros par divers passeurs, a goûté le bout des bottes en cuir des militaires algériens, s’est fait volé son passeport avant de s’embarquer dans un canot dont quatre personnes ne sont jamais sorties vivantes. Pour quoi au final? Pour se retrouver enfermé tel un détenu de droit commun dans une ville où il faut être Espagnol ou taré pour avoir envie de vivre.

Après son entrée, plié en quatre au dessus de la roue arrière d’une vieille caisse marocaine, Gurjeet comme tous les clandestins de sa trempe a atterri au CETI, le centre de rétention de la ville. Là-bas, plusieurs nationalités se côtoient. Ils sont huit ou dix par chambre, partageant repas et maladies, en tentant tant bien que mal de s’occuper pendant la journée, leur condition de clando ne leur permettant pas d’accéder à un emploi légal. Débarqué au CETI en 2007 – l’endroit accueille toute personne n’étant pas en situation d’expulsion – Gurjeet n’y est resté qu’un an avant de se barrer, une menace d’expulsion pesant justement sur ses épaules. Depuis, il survit tant bien que mal dans une forêt avec une cinquantaine d’Indiens, tous dans la même situation que lui. Leur quotidien n’est pas très reluisant. Ils vivent installés dans un camp de fortune qu’ils ont eux-même bâtis en amassant des rondins de bois, des bâches et quelques matelas.

Hormis la prière, la cuisine et le ménage si l’on peut dire – le camp est un sacré dépotoir – Gurjeet et ses potes s’occupent essentiellement en jouant les aides sur le parking d’un supermarché situé à une demie-heure de marche de là. Avec le temps, les gens du coin ont appris à s’habituer à leur présence, et se prêtent au jeu en leur demandant de charger leurs courses dans le coffre, histoire de leur donner une petite pièce. Les petites vieilles s’en accommodent plutôt bien et disposent de la sorte de jeunes gens prêts à porter leurs achats jusque chez elle. C’est l’occasion au passage de tailler un brin de causette avec ces individus venus du bout du monde, qui ont toujours une anecdote colorée à raconter sur leur vie passée. Et puis il y a tout le réseau d’aide autour d’eux. La soeur Paola notamment, une missionnaire alterno d’une soixante d’années qui leur donne des cours d’espagnol dans son local et leur met quelques médicaments à disposition. Il y a le centre San Bernardo aussi, qui leur file la possibilité de prendre des douches, manière de rester digne dans la misère. En bout de course, ces voyageurs malgré eux reçoivent enfin un coup de main de la communauté indienne de Ceuta, une petite diaspora établie depuis l’indépendance de 1947, qui ne manquent pas de leur fournir vêtements et nourriture en toute discrétion.

Cette histoire de migrants qui fantasment l’Europe comme une terre promise pue complètement la lose. A l’échelle d’un territoire gros comme un confetti, Ceuta cristallise toute la détresse de ce sud qui idéalise naïvement le nord comme un havre économique bienveillant. Bloqué à l’intérieur du mur depuis trois années, le dernier espoir de Gurjeet et des cinquante-trois autres Indiens dans sa situation repose désormais sur une missive adressée au gouvernement espagnol dans laquelle ils l’exhortent à annuler l’arrêt d’expulsion qui pèse sur leurs têtes, afin de rejoindre enfin celle qu’ils s’appellent “La Grande Espagne” par opposition à cette ville espagnole autonome bâtarde. Au dessus de la carcasse des vivants, bloqué d’un côté ou de l’autre du mur, rôdent les âmes de tous ceux qui sont morts en payant le prix de cette attente insensée. Amnesty International estime d’ailleurs qu’en dix ans – depuis la création du mur – plusieurs milliers de personnes sont mortes noyées en essayant de contourner cette saloperie de barrière.

Avec le recul, je m’explique difficilement cette image de la pute consanguine qui en définitive n’a aucun sens. Pour ces migrants, Ceuta a par contre quelque chose d’une jeune fille qui aurait menti sur son identité. Gurjeet et la centaine d’individus se sont imaginés que rentrer dans Ceuta renviendrait à épouser le rêve européen. Au final, ils se retrouvent liés avec une clocharde qui ne peut absolument rien pour eux, si ce n’est en faire à leur tour des hommes vivant comme des bêtes en dehors du cadre classique de la société. L’histoire de ces types mérite d’être racontée, ne serait-ce parce qu’elle démontre à quel point l’Europe peut être une broyeuse administrative sans sentiment. Pour Jonathan et moi, l’idée de tirer un documentaire de la réalité des prisonniers de Ceuta tient de la volonté de rendre compte au plus grand nombre de la nature parfois délibérément aveugle de l’Europe en matière de politiques migratoires. Le peu de propositions de diffuseurs sur le bureau de notre producteur tend à montrer que les médias audiovisuels semblent s’en tamponner tout autant.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Crédits photos CC FlickR par 300td.org, zanthia, pedrobea


Voir aussi :
[APP] Mémorial des morts aux frontières de l’Europe
“La liberté de circulation s’impose comme une évidence”

]]>
http://owni.fr/2011/02/18/ceuta-tombeau-du-reve-europeen/feed/ 15
Les mésaventures américaines du Rafale au Maroc http://owni.fr/2011/02/10/les-mesaventures-americaines-du-rafale-au-maroc/ http://owni.fr/2011/02/10/les-mesaventures-americaines-du-rafale-au-maroc/#comments Thu, 10 Feb 2011 10:55:15 +0000 Jean Guisnel http://owni.fr/?p=45864 Jean Guisnel est journaliste au Point, où il suit les questions de défense et de nouvelles technologies. Il publie aux éditions La Découverte une enquête intitulée Armes de corruption massive, secrets et combines des marchands de canon. OWNI l’a interviewé et publie trois extraits de son nouveau livre. Retrouvez également comment la France a, en 2007, échangé les infirmières bulgares contre des missiles à la Libye et la colère de Chirac contre François Léotard dans l’affaire Karachi.

Vingt-cinq ans après le lancement de son programme de fabrication, le Rafale n’a toujours pas été vendu à l’étranger. Dassault a beau multiplier les approches, rien n’y fait : le chasseur français reste synonyme d’échec chronique à l’export. Pour Jean Guisnel, le “cas d’école” est le revers subi en 2007 au Maroc, où Paris a dû affronter le rouleau compresseur américain et… ses propres dissensions.

Conséquence : cet extraordinaire ratage va déboucher sur la création d’une “war room” à l’Elysée, sorte de centrale de coordination des acteurs de l’armement. Dirigée par le secrétaire général de la Présidence, Claude Guéant, elle gère une centaine de dossiers, à l’image de ce qui se pratique, à la Maison Blanche, au Royaume-Uni ou en Allemagne. Si l’idée paraît bonne au départ, elle n’a pas encore donné tous les résultats escomptés comme le montre les vicissitudes des négociations avec le Brésil sur le Rafale. Extrait.

Le ratage marocain de Dassault en 2007 : un cas d’école

Nous sommes le 11 septembre 2007 à Toulouse, lors des « universités d’été de la Défense ». Devant un parterre comptant tous les dirigeants français des armées et de l’industrie militaire, le ministre de la Défense Hervé Morin, en poste depuis moins de trois mois, a refusé qu’on lui prépare un discours et s’engage dans une improvisation sur le chasseur-bombardier Rafale. L’avion, tout le monde le sait, est emblématique des onéreux efforts français en matière de technologie, que la gauche, la droite, les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac, l’armée de l’air et des dizaines d’industriels sous-traitants soutiennent à bout de bras depuis un tiers de siècle. Un monument ? Non… Une vache sacrée ! Que la France a décidé de s’offrir et que le monde lui envie, bien sûr, mais ne lui achète pas… Hervé Morin est un transfuge du parti centriste de son ancien mentor François Bayrou, qu’il avait préféré lâcher quand ce dernier s’était lancé dans son aventure pour l’élection présidentielle de 2007. Rallié depuis au vainqueur, Nicolas Sarkozy, Morin n’a jamais prononcé, dans son domaine de compétence, un mot qui pourrait faire seulement froncer un sourcil au président. À l’instar des chevaux qu’il aime tant, le ministre possède un excellent flair. Dans son domaine ministériel, il sent le vent de l’Élysée et n’est pas du genre à souffler contre lui.

Or, devant les plus importants dirigeants de Dassault Aviation, dont le patron Charles Edelstenne en personne, et devant le patron de Thales (qui fournit l’électronique de l’avion) Denis Ranque, il envoie une ruade inattendue en s’en prenant à ces « programmes qui ont été pensés en pleine guerre froide ». Et de choisir un exemple, au hasard : « On le voit bien avec le Rafale, un avion sophistiqué, formidable. Quand les Américains emportent les contrats, c’est souvent avec des F-16 d’occasion . Je souhaite qu’on propose aux politiques la possibilité de choisir un équipement peut-être un peu moins sophistiqué à l’avenir. » Et d’ajouter : « Le Rafale est un avion absolument formidable, qu’on a beaucoup de mal à vendre. J’observe simplement que beaucoup de pays ne [raisonnent pas en termes] de combat à haute intensité, leur réflexion sur les équipements intègre bien entendu beaucoup plus la question du prix. » C’est clair : pour le ministre, mais aussi pour l’Élysée, c’est parce qu’il est trop cher que le Rafale ne se vend pas. Et ce que le ministre sait, mais ne dit pas, c’est que sa première vente à l’exportation, au Maroc, vient de capoter !

Quelques jours avant le discours d’Hervé Morin, la DGSE, qui avait fort bien travaillé au royaume chérifien, avait remis à Paris un document passionnant : l’offre commerciale concurrente de celle du Rafale, présentée par l’industriel américain Lockheed Martin : vingt-quatre F-16C/D Block 50/52 pour 2,4 milliards de dollars (1,6 milliard d’euros) . Alors que les Français proposent dix-huit Rafale pour 2,1 milliards d’euros. Et soudainement, en lisant ce document secret acquis de haute lutte, les Français ont compris que la partie était perdue. La fin d’une longue histoire…

C’est le 13 décembre 2005, lors d’une visite privée à Paris, que le roi du Maroc Mohammed VI évoque à l’Élysée, avec Jacques Chirac en personne, son intérêt pour des avions d’armes français. Il les veut adaptés à son armée de l’air et cite le monoréacteur Mirage 2000. Un an plus tard, quand le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées, revient d’une visite officielle au Maroc les 11 et 12 décembre 2006, il confirme à Paris l’intérêt de ses interlocuteurs pour l’achat de ces avions. Pas si fortunés, les Marocains préfèreraient des modèles d’occasion, en vingt-quatre exemplaires. Demande assez logique, puisque les voisins algériens ont confirmé en mars 2006, à l’occasion d’une visite du président russe Vladimir Poutine, une commande de chasseurs russes dernier cri, déjà annoncée au printemps 2004 : vingt-huit SU-30 Flanker et trente Mig-29 Fulcrum.

Quand le projet de commande marocaine parvient à Dassault, transmis par les filières administratives habituelles, un problème apparaît aussitôt : l’arrêt de la production de Mirage 2000 neufs est programmé, la fermeture des chaînes étant prévue pour novembre 2007 avec la sortie du dernier appareil d’une commande grecque. Il est hors de question de les relancer chez l’industriel et ses sous-traitants, car la facture ne serait pas éloignée du milliard d’euros, affirme Dassault. Il faut dire qu’avant la décision d’arrêt de la production, le Mirage 2000 avait subi de sévères échecs au début des années 2000 : contre le F-16 américain en Pologne et au Chili, on l’a vu, mais également contre le Mig-29 russe en Inde (après une première victoire au début des années 1980), ou contre le Jas 39 Gripen de Saab en Afrique du Sud. Que dans ce dernier pays les Britanniques, auxquels les Suédois avaient confié la commercialisation de leur appareil, aient gagné à coups de pots-de-vin massifs ne change rien à l’affaire ! Dassault avait dès lors choisi de concentrer tous ses efforts sur son appareil le plus moderne, le Rafale.

En 2006, les trois industriels du GIE Team Rafale (Dassault Aviation, Thales et Snecma) proposent donc au Maroc une autre solution : dix-huit Rafale, pour le prix de vingt-quatre Mirage 2000. Les industriels français trouvent aussitôt des alliés dans la place, dont le général Ahmed Boutaleb. Inspecteur général des Forces royales Air (chef d’état-major de l’armée de l’air), cet aviateur a été le précepteur du roi Mohammed VI et se trouve crédité à ce titre d’une grande influence. Être la première force africaine à disposer d’un avion d’un tel niveau a tout pour l’enchanter… Le gouvernement français, en la personne de Jean-Paul Panié, directeur des affaires internationales de la DGA (Délégation générale pour l’armement), propose un marché à 1,5 milliard d’euros. Mais patatras ! Absolument furieux, les dirigeants du Team Rafale lèvent les bras au ciel, affirmant que le juste prix serait de 2,5 milliards d’euros.

Finalement, après des négociations franco-françaises au poignard, ce sera quelque 2,1 milliards d’euros tout compris (en principe), sauf l’armement. Le Team Rafale affirme-t-il que les équipements électroniques ne sauraient être identiques à ceux des appareils français, dont de nombreux composants sont d’origine américaine et soumis à la norme ITAR (International Traffic in Arms Regulations) ? Et que, pour cette raison, les capacités opérationnelles de l’avion doivent être dégradées, à un coût très élevé ? La DGA répond du tac au tac qu’il est parfaitement possible de vendre des avions strictement identiques à ceux du parc français et qu’il appartiendra aux Marocains de demander aux Américains les dérogations ITAR nécessaires. Les auraient-ils obtenues ? C’est peu probable : les Américains n’acceptent en règle générale de vendre ces équipements qu’avec leurs propres avions.

Pour que l’offre française permette une livraison rapide des avions aux Marocains, elle prévoit que les neuf premiers exemplaires de leur commande (Rafale F3 biplace) seraient prélevés sur les chaînes tournant pour l’armée de l’air française (cette dernière recevant plus tard les appareils lui étant destinés). Les aviateurs français assureraient sur place la maintenance et l’entraînement des pilotes, entre autres. Ce qui reviendrait, affirme l’un des négociateurs de cette affaire, à « installer un escadron français sur une base marocaine ».

Cette offre est formellement présentée à Rabat fin juin 2007. Six mois ont donc été nécessaires depuis la visite du général Georgelin à Rabat. Pourquoi ce délai ? Parce qu’avec une dette extérieure de quelque 18 milliards de dollars, le Maroc ne dispose pas des ressources nécessaires pour creuser davantage le déficit de sa balance commerciale en s’achetant de telles machines de guerre. Il fallait donc que Paris avance les fonds, même en le dissimulant par un pieux mensonge, maintes fois répété durant la campagne pour l’élection présidentielle française d’avril 2007 : certains émirs du Golfe honoreraient la facture pour le compte du royaume chérifien. Il existe également une explication politique, typiquement franco-française : le Premier ministre Dominique de Villepin, s’offusque un industriel, « aurait pesé sur la non-décision de Jacques Chirac, pour que son successeur, Nicolas Sarkozy, ne bénéficie pas du crédit de cette vente ».

Explication certes alambiquée, mais les faits sont là. C’est seulement en avril 2007, alors que la campagne présidentielle touchait à son terme, que les vraies négociations ont commencé à Matignon, avec deux autres acteurs principaux aux vues antagonistes : le ministère de la Défense de Michèle Alliot-Marie, très ardente, et celui des Finances de Thierry Breton, debout sur les freins. « Les gentils baratineurs chefs de bureau de Bercy n’ont répondu qu’en juillet à une demande présentée quatre mois plus tôt », s’indigne ainsi l’un des négociateurs militaires, oubliant sans doute qu’il n’était pas si aisé de prendre une telle décision alors que des élections présidentielle et législatives allaient survenir. Les vendeurs du Rafale, quant à eux, ne demandent qu’une chose : que l’administration française décide clairement, et dans les temps. Ils seront déçus !

Car ce n’est que le 11 juillet 2007, après l’élection de Nicolas Sarkozy et sur sa décision personnelle, que la France proposera finalement de financer totalement (ou presque) l’achat des Rafale par le Maroc, avec des prêts remboursables sur de longues années à des conditions « amicales », qui n’ont pas été détaillées. L’offre repose classiquement sur des prêts bancaires cautionnés par la Coface, elle-même garantie par le Trésor public : en cas de défaillance du client, c’est le contribuable français qui paye… Dès lors que le crédit garanti par l’État est accordé, la Délégation générale pour l’armement (DGA) profite de l’aubaine pour charger la barque, faisant une fois de plus fulminer Dassault. Et d’ajouter une offre complémentaire portant sur des frégates et des hélicoptères EC725. La facture va grimper à 3 milliards d’euros, mais il est déjà bien tard…

Car sur le papier, c’est au Premier ministre François Fillon que revient la décision. Son cabinet exige une directive écrite de l’Élysée, qui n’arrive que le 21 juillet 2007. Visiblement très bien informés du processus décisionnel à Paris, les Américains ont présenté leur propre offre définitive à Rabat entre le 10 et le 14 juillet. L’acceptation française du crédit en faveur des Rafale est quant à elle annoncée fin juillet aux Marocains : il se monte à 100 % du contrat, 85 % garantis par la Coface et le reste négocié avec un pool de banques. C’est alors que le roi Mohammed VI tranche en faveur de la proposition américaine. Après cette date, les fils sont coupés : les interlocuteurs marocains des Français ne les prennent même plus au téléphone. Trop tard ! « C’est un fiasco majeur, une fuite du politique devant ses responsabilités », s’étrangle un industriel… Mohammed VI apprend simultanément que Nicolas Sarkozy souhaite effectuer une visite de travail à Rabat, à la fin d’un déplacement éclair le menant également à Alger et Tunis. Incident diplomatique : Mohammed VI exige un report de cette visite, au motif que le premier voyage d’un président français dans son pays ne saurait être qu’une visite d’État… Prétexte !


>> Photos FlickR CC : Phinalanji, hyper7pro

]]>
http://owni.fr/2011/02/10/les-mesaventures-americaines-du-rafale-au-maroc/feed/ 11
Lutter contre la Cyber-Censure http://owni.fr/2010/03/12/lutter-contre-la-cyber-censure/ http://owni.fr/2010/03/12/lutter-contre-la-cyber-censure/#comments Fri, 12 Mar 2010 15:18:56 +0000 Stéphane Favereaux http://owni.fr/?p=9961

Ce vendredi 12 mars met en avant lors de la journée mondiale de lutte contre la cyber-censure, la bataille pour la liberté d’information. Depuis que le Net s’ouvre au monde, les pays les moins démocratiques ou ceux se prétendant démocratiques tendent à renforcer le contrôle sur l’information. Face à ces états censeurs, dictatoriaux ou fut un temps réellement démocratiques, il appert que la capacité de mobilisation des net-citoyens, des anarnautes, des tenants de la Netopie, s’accroît en faisant tomber les frontières des états.

Chaque citoyen soumis à la censure ou que les états veulent faire taire devient un relais d’informations permettant au monde entier d’être mis face aux dérives des régimes autoritaires, il n’est qu’à penser à la Révolution Twitter en Iran… Malheureusement, quelques rares pays, la Corée du Nord, la Birmanie, le Turkménistan voire Cuba coupent totalement l’accès au Web prétextant un manque de moyens techniques et un moindre développement des infrastructures. De fait, nous assistons à une explosion du marché noir des télécommunications, notamment à Cuba, en Chine ou en Corée du Nord…

censure

Le marché de la construction des prisons devrait aussi s’accroître puisque près de 120 blogueurs, internautes, cyberdissidents sont enchristés pour avoir eu la désobligeance de s’exprimer librement.

- Au Maroc, pays ami de la France, le délicieux Mohammed 6, pire encore que son père, mais n’ayant pas encore systématisé la surveillance du Web, maintient en détention un blogueur et un propriétaire de cybercafé pour avoir permis la publication ou publié des propos anti-Mohammed 6, notamment sur la répression d’une manif ayant mal tourné.

- Adnan Hadjizade et Emin Milli, blogueurs Azerbaïdjanais sont sous les verrous pour avoir tourné en dérision les autorités locales et les avoir ridiculisé dans une vidéo sur You Tube.

- Au Yémen, quatre journalistes sont actuellement derrière les barreaux pour des raisons similaires…

Et la liste pourrait être longue encore des exactions commises sous couvert politique. RSF publie donc ce rapport à l’occasion de cette journée de lutte et rallonge également la liste des pays ayant mis le Web sous surveillance : la Turquie et la Russie en font dorénavant partie.

iran-tweets2

Si seuls les régimes autoritaires étaient initiateurs de cette surveillance du Web, les pays libres les rejoignent et les moyens de surveillance évoluent. Censure et intimidations, pressions étatiques et légales se démultiplient… 60 pays censurent « officiellement » le web en 2009, soit deux fois plus en qu’en 2008…

Filtrage, fichage, fermeture de blogs, de sites de dissidents, d’opposants aux régimes de ces 60 pays… les moyens techniques se mettent au service de la volonté de faire en sorte que le Web la ferme purement et simplement. Arrestation torture, intimidation des journalistes, des dissidents, des blogueurs, des entourages (notamment au Maroc), des familles…

RSF précise que « Les plus grandes prison du monde pour les net-citoyens sont la Chine, largement en tête avec 72 détenus, suivie du Viêt-nam et de l’Iran, qui ont lancé ces derniers mois des vagues brutales d’arrestation. »

Quand la démocratie censure…

Si l’on évoquait jusqu’alors les dictatures, monarchies absolues et autres régimes staliniens, ceux-ci ne sont pas les seuls à vouloir surveiller le Net. La Corée du Sud tente de mettre un terme à l’anonymat sur la toile, l’Australie est en train de se doter d’un système de filtrage total du Web.

Au niveau supranational, les discussions actuelles menées sous secret défense par 39 états ne vont guère aller dans le sens des anarnautes, des opposants. ACTA destinés à lutter contre la contrefaçon se négocie sans la moindre concertation avec les ONG, sans aucun rapprochement avec les acteurs du Web. La Communauté européenne à beau s’opposer à cette confidentialité par un vote très largement majoritaire, les passions ne s’apaisent pas face à un accord qui pourrait instaurer la surveillance du Web dans 39 pays dont on prétend qu’ils sont démocratiques. Ces mesures liberticides potentielles passeraient par un filtrage du Net sans qu’aucune décision de justice n’ait à être prise.

rsf

Les législations répressives sont de plus en plus systématiques : Jordanie, Irak, Kazakhstan, Australie, Grande-Bretagne, France… cette liste est longue et peut inquiéter… Voir accoler dans une même liste des états totalitaires et des démocraties ne laisse guère planer de doutes quant aux volontés de contrôle que tout état veut sur cet espace de liberté qu’est le Web.

Face à ces volontés sécuritaires, le rapport de RSF précise cependant que « En Finlande, le décret n°732/2009 fait de l’accès à Internet un droit fondamental pour tous les citoyens. En vertu de ce texte, chaque foyer devra bénéficier d’une connexion d’au moins 1 mégabit par seconde au 31 juillet 2010. D’ici 2015, elle devra être d’au moins 100 mégabit par seconde. De son côté, le Parlement islandais examine à l’heure actuelle une proposition de loi ambitieuse, “Icelandic Modern Media Initiative” (IMMI), destinée à protéger les libertés sur Internet, en garantissant la transparence et l’indépendance de l’information. Si elle est adoptée, l’Islande deviendrait un paradis cybernétique pour les blogueurs et les citoyens journalistes »

Les blogueurs s’associent…

Partout sur la planète Web, les associations de blogueurs se développent en cyber-mouvements de lutte, d’échanges de fichiers, de techniques permettant aux iraniens d’utiliser des proxies destinés aux dissidents chinois, etc. Idem dans les 60 pays de la liste RSF… la résistance sur le Web s’organise. Et la résistance, ça marche ! En Russie, le média le plus libre est le Net, en Italie, on n’en est pas loin malgré les tentatives de Berlusconi de faire taire les blogueurs opposants, en France non plus, nous n’en sommes pas très loin ! RSF précise aussi que « L’Arabic Network for Human Rights Information estime à 10 000 le nombre de blogs actifs, en arabe et en anglais, dans le pays. ». Les trônes dictatoriaux se fragiliseront… gageons le.

Cette journée de lutte contre la cyber-censure ne doit en aucun cas être une mobilisation d’une journée, elle doit être un combat de chaque jour où les démocrates, à défaut des démocraties, doivent soutenir les dissidents, les opposants enchristés pour avoir voulu défendre leurs libertés fondamentales, leur liberté d’expression.


Photo par Cayusa (CC-by-nc)

]]>
http://owni.fr/2010/03/12/lutter-contre-la-cyber-censure/feed/ 13
Entretien avec Ayoub El Mouzaine http://owni.fr/2009/11/02/entretien-avec-ayoub-el-mouzaine/ http://owni.fr/2009/11/02/entretien-avec-ayoub-el-mouzaine/#comments Mon, 02 Nov 2009 12:20:35 +0000 Ayoub Al Mouzaine http://owni.fr/?p=5098 [NDLR] Ayoub avait traduit en arabe le “Manifeste Internet” , il revient dans le quotidien marocain “Al Jarida Al Oula” sur sa vision d’Internet et la situation en terme de libertés numériques dans les pays arabes.

El Mouzaine : «Internet n’est pas un simple outil technique qui sert à faire circuler le savoir et l’information, il est une étape civilisationnelle avancée du développement humain».

Question : Vous avez été le premier à traduire « Le Manifeste Internet » vers l’arabe, ce document qui a été le point de départ pour un groupe de journalistes allemands pour lancer sur leur site une initiative que vous avez jugée révolutionnaire en tous points de vue. Comment expliquez-vous cela ?

Réponse :  J’ai suivi, et je continue à suivre, avec beaucoup d’intérêt le débat mené en Allemagne par les maisons de presse et d’édition signataires de la « Déclaration d’Hambourg » qui vise à protéger et fortifier la propriété intellectuelle sur Internet, et un groupe d’universitaires et de journalistes qui ont publié le dit « Manifeste Internet ». Je ne vous cache pas l’étonnement que j’ai éprouvé en lisant ce texte. Cela m’a fait penser au « combat pour la culture », qui a opposé Bismarck à l’Eglise catholique et au parti des catholiques allemands, et j’ai renoué avec l’espièglerie de Nietzsche et l’étanchéité de ses textes (exclusivement accessibles aux esprits libres). Je me suis retrouvé face à un document qui dissèque une partie de ce que sera l’avenir du savoir humain et qui annonce, sans sacralité affectée, l’avènement d’une ère où la seule distinction qui puisse être faite entre « la masse » et « l’élite » dépend uniquement de la qualité du travail présenté. Ainsi, il n’y aurait plus de différence entre un journaliste professionnel et amateur mais entre du bon et du mauvais journalisme. De même, il ne saurait plus être question d’un émetteur et d’un récepteur au sens classique du terme, mais d’une soumission totale à un principe démocratique d’interaction, où l’échange serait la garantie de la liberté d’information. Ajoutez à cela l’affirmation du manifeste que le principe même d’existence et de subsistance sur le net est intrinsèquement lié à la nécessité de renouveler constamment les idées et de concevoir Internet comme une réalité à laquelle il est impossible d’échapper. La « génération Wikipédia » est en effet apte à vérifier la véracité d’une source en remontant à l’origine de chaque information, et ce en usant des différentes techniques de recherche et en les revoyant et développant sans cesse. Qui peut donc nier cela ? N’est-ce pas là la véritable révolution ?

Q : Au vu des difficultés que connaissent les droits d’édition sur support papier dans notre pays, pensez-vous qu’Internet soit apte à opérer une ouverture dans le paysage de la liberté de presse et d’expression ? <

R : Internet a changé la nature des médias et a brisé le halo mis en place, durant plus de deux siècles, par la presse écrite dans sa relation avec la liberté en général. Nous avons vu, par exemple, comment un quotidien tel que « Akhbar Al-yawm » s’est créé un site internet pour continuer à diffuser auprès de ses lecteurs, après la sentence de suspension dont il a été frappé. Cette initiative a été spontanée car elle a été la conséquence d’une « urgence légale » et n’a pas précédemment répondu à l’impératif civilisationnel de la société du savoir et de l’information. Pour comprendre la valeur des forums de discussion, des réseaux sociaux, et l’importance d’une ouverture première et sans condition sur la toile, nous devons d’abord en saisir l’enjeu : Internet n’est pas un simple outil technique qui sert à faire circuler le savoir et l’information, il est une étape civilisationnelle avancée du développement humain, qui est en train d’ébranler notre ancienne conception des valeurs en tant qu’êtres humains, y compris les valeurs de bonheur, d’amour, de mensonge et même de liberté. Laissez-moi vous montrer comment la liberté d’expression se trouve garantie de manière absolue sur le web : sur le plan pratique, les gouvernements peuvent saisir un journal en papier dans les kiosques et dans les imprimeries, ils peuvent aussi censurer un site ou détruire sa base de données. Mais ils sont parfaitement incapables de mettre fin à la circulation de l’information entre les utilisateurs, en raison de sa complexité (elle peut être sous-forme écrite, audio ou vidéo) et de son caractère infini. En d’autres termes, il est impossible de réquisitionner l’opinion ou de passer sous silence une information sauf si l’on interdit complètement l’accès au service universel d’Internet. C’est là effectivement la seule menace qui peut être brandie devant la circulation de l’information. (Avec humour) Ou bien couper l’électricité et revenir à l’âge de pierre !

Q : La réquisition des opinions et la répression de la liberté d’expression sur le net continue à être monnaie courante dans les quinze pays cités par l’organisation Reporters Sans Frontières (RSF), parmi lesquels figurent l’Arabie Saoudite, la Libye, la Syrie et la Tunisie. Comment nous positionnons-nous, en tant qu’Arabes, au sein de ces changements ?

R : Il est déplorable que l’on soit, en tant qu’Arabes, les plus proches –historiquement et géographiquement parlant- de celui dont les algorithmes développent quotidiennement l’univers technologique ; si nous suivons ces changements en matière de connaissance et de savoir, c’est uniquement de notre position de spectateurs. Tant que nous marginalisons le rôle de l’Homme, en tant qu’individu, l’usage de la technologie demeurera quelque chose de difficile à comprendre avant même d’être mis en application. Nous devons garder en tête que ceux qui acceptent d’entrer sur Internet sont « des personnes ouvertes, tolérantes, indépendantes, responsables et qui croient en l’universalité ». Par conséquent, et à cause de la mauvaise coïncidence de l’Histoire, nous –Arabes- ne sommes pas forcément ces personnes-là !

Q : (Coupant la parole) Ne trouvez-vous pas votre discours trop virulent à l’encontre des sociétés arabes ?

R : (ironiquement) Nous sommes un peuple qui a perdu jusqu’à son respect pour l’homme, comment voulez-vous alors qu’il éprouve du respect pour des machines ou pour leur âme numérique ? On s’abrutit devant notre télévision avec des programmes et des films stupides tandis qu’un pourcentage important d’occidentaux (et notamment d’israéliens) utilise le web pour nouer de nouvelles relations et échanger des informations d’une actualité brûlante.

Aujourd’hui, des militants activistes défendent en Occident de nouvelles formes de liberté inconnues jusque-là. Ils appellent par exemple à la nécessité d’utiliser la cryptographie asymétrique à la place de la cryptographie symétrique, s’agissant d’un droit qui préserve le statut des particuliers et les protège contre les abus gouvernementaux et le piratage. Et pendant ce temps-là, chez nous, des religieux écervelés dissertent sur la licéité de Facebook ! Pour être bref et concis, je pense qu’en tant que pays arabophones régulant leur existence en se référant à la tradition et à la religion, nous vivons une véritable crise épistémologique dont il est impossible de sortir autrement que par une coupure radicale, au lieu de poursuivre avec ce cumul inutile qui ne viendra pas à bout du fossé civilisationnel qui est en train de se creuser.

La photo de Une est une calligraphie du mot “liberté” en arabe

]]>
http://owni.fr/2009/11/02/entretien-avec-ayoub-el-mouzaine/feed/ 4