OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Révélations sur la télévision connectée http://owni.fr/2012/10/03/revelations-sur-la-television-connectee/ http://owni.fr/2012/10/03/revelations-sur-la-television-connectee/#comments Wed, 03 Oct 2012 09:12:17 +0000 Laurent Chemla http://owni.fr/?p=121508 Confessions d'un voleur, Laurent Chemla publie sur Owni sa deuxième chronique et dit tout le bien qu'il pense de la télévision connectée. Avec méthode et ouverture d'esprit, dans l'espoir que le lecteur y donnera son avis.]]>

Eat more pizza. Drink More beer. Photo CC by-sa avlxyz

Argument-choc d’un CSA qui se cherche à redorer une légitimité ternie, le serpent de mer de la “télévision connectée” est récemment ressorti du marais saumâtre des idées-bateaux, idées imposées par un marketing tout-puissant mais sans imagination.

Même dans les termes, c’est imbuvable : on ne “voit” pas Internet, on l’utilise.

Et on y participe autant qu’on le consomme, bien au-delà de la simple “interactivité” que nos chers diffuseurs cherchent vainement à développer depuis des lustres. La télévision aura beau être reliée à Internet, si elle est une télé-”vision”, elle ne sera pas plus “connectée” qu’elle ne l’est déjà par ondes hertziennes. Tout au plus, elle utilisera pour se diffuser une bande-passante déjà trop rare dans bien des territoires ruraux.

Le principe même de la “diffusion”, d’ailleurs, se prête mal au jeu du réseau.

Les plus grands diffuseurs d’Internet ont besoin d’une infrastructure lourde (CDN), mal adaptée, chère, et qui ne va pas sans poser des problèmes de centralisation (à l’opposé de l’idée même d’un réseau a-centralisé tel qu’Internet) et de partage des coûts entre opérateurs (on le voit dans le conflit entre Google et Free, qui explique les difficultés que connaissent ses abonnés quand ils veulent regarder une vidéo sur YouTube). Quoi qu’on en dise, on n’a — à ce jour — rien trouvé de plus efficace pour broadcaster du contenu que la bonne vieille antenne.

Qu’il me suffise de rappeler, pour en finir au moins temporairement avec cette idée ridicule, que nos futurs écrans 4k nécessiteront un débit de 500 Mbps pour afficher les détails de l’image (le débit moyen d’Internet en France est de 5,6 Mbps). Même la bien balbutiante fibre optique ne permet pas ça, sans même parler du dimensionnement des équipements en amont. Si c’est sur ce futur mort-né que veut se baser notre gouvernement pour justifier la fusion du CSA et de l’ARCEP, c’est dire comme on est mal barrés.

Internet en fusion

Internet en fusion

En lançant une réflexion sur le "rapprochement" de l'Arcep et du CSA, le gouvernement ressuscite un serpent de mer qui ...

Bref. Pour savoir ce qu’était supposé faire cette chose dont on parle beaucoup mais sans savoir pourquoi, j’ai fait comme n’importe qui et j’ai été lire Wikipedia. Ce dernier propose trois types de service : la navigation, la VOD et les applications (issues d’un App Store ou d’un Google Play) permettant l’interactivité. Quelle vision grandiose.

Il suffit d’avoir joué une fois dans sa vie avec une Wii pour savoir à quel point un pointeur embarqué dans une télécommande – même intelligente – est peu précis. Imaginer utiliser autre chose qu’une souris (ou un doigt) pour “naviguer” sur le Web c’est se le fourrer (le doigt) dans l’oeil. Même les pointeurs laser utilisés pendant les présentations commerciales sont sujets aux tremblements d’une main très peu adaptée à cet usage. Et puis franchement, même avec des lunettes on a déjà tous (sauf moi) du mal à lire une page web quand on a pas le nez collé à l’écran, alors naviguer sur une télé de salon depuis son canapé situé à deux mètres de distance (et à plusieurs)…

Je zappe.

Les applications, donc. Imaginons une émission “interactive” : un diffuseur, des millions de spectateurs, et chacun d’entre eux peut interagir. Pour faire quoi ? Donner son avis ? Vous les imaginez, les millions de tweets qui défilent en bas de l’image pendant le débat entre deux prétendants à la magistrature suprême ? Ridicule. Le seul usage un tant soit peu crédible sera de faire voter le public pour tel ou tel Staracadémiste. Quant à réagir en direct, je me marre : on imagine un clavier (physique ou pas peu importe) et le public qui tape à son rythme de public : le temps qu’il pose sa question, qu’elle soit filtrée par la production et qu’elle sera affichée, on en sera à la pub.

Je zappe.

La VOD (ou la catch-up TV) alors ? Soit, mais laquelle ? Si la grande innovation qui fait peur à toute une industrie consiste à remplacer le loueur de DVD (ou le magnétoscope), je me gausse.

Pourtant la télé connectée existe déjà, mais quoi qu’en pensent les imbéciles qui prédisent la si fameuse convergence (ou qui s’en servent de prétexte à une régulation de la parole publique qu’ils souhaitent depuis toujours), elle ne passe ni par les “players” de nos “box” ni par la Google TV ni par je ne sais quel boîtier blanc (aux coins ronds) designé par Apple. Elle est arrivée depuis longtemps dans nos salons, et nos bureaux, dans une fenêtre comme n’importe quelle autre.

C’est celle que je regarde, de temps en temps, tout en tapant ce texte, et en twittant, et en dialoguant avec mes amis en parallèle. Elle passe par une antenne, puis via mon réseau local elle arrive sur mon écran d’ordinateur. Et lui il a déjà une souris, un clavier, un écran assez proche de mes yeux de presque-cinquantenaire. Son système d’exploitation c’est moi qui l’ai choisi.

Quand la fenêtre “télévision” balance de la pub, je lui coupe le sifflet d’un coup de molette et je passe à autre chose. Quand je veux réagir, je prends le temps de réfléchir et j’en fais un billet de blog. Quand je veux jouer, j’ai un microprocesseur assez puissant pour que ce soit agréable. Et quand le CSA essaiera de contrôler ce que je veux publier, j’utiliserai un VPN pour le contourner.

La télévision connectée existe déjà. Ça s’appelle un ordinateur.


Eat more pizza. Drink More beer. Photo CC [by-sa] avlxyz.

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Le sciento, le flic et le Vicieux anonyme http://owni.fr/2012/08/24/le-sciento-le-flic-et-le-vicieux-anonyme/ http://owni.fr/2012/08/24/le-sciento-le-flic-et-le-vicieux-anonyme/#comments Fri, 24 Aug 2012 16:23:47 +0000 Jean Marc Manach http://owni.fr/?p=118535 Owni comment un policier l'a récemment bousculé, avant d'infliger à plusieurs Anonymous des contraventions pour avoir manifesté masqués.]]>

Le port du masque de Guy Fawkes ne relève pas que d’un folklore potache de geeks biberonnés au soi-disant “anonymat” qui régirait le Net. C’est d’abord et avant tout un moyen utilisé par les pionniers du mouvement Anonymous pour se protéger du Bureau des affaires spéciales (Office of Special Affairs, ou OSA), le service de renseignement de l’église de Scientologie.

C’est ce qu’avait expliqué Vicieux, l’un des rares Anonymous français a avoir accepté de passer à la télévision, lorsqu’il avait été interviewé par Thierry Ardisson dans son émission Salut les terriens, sur Canal +.

Je ne représente pas le mouvement : je ne représente que moi-même, mais il y avait un risque d’usurpation d’identité du mouvement“, explique Vicieux à Owni. Le 1er mars 2011, l’émission Complément d’enquêtes avait en effet diffusé l’interview d’un certain Carl, hacker présenté comme membre du mouvement Anonymous, mais également comme un “cybercriminel“.

Devant la caméra de France 2, Carl avait en effet piraté un site de l’armée française, et annoncé la création d’”une sorte de WikiLeaks francophone” grâce à des données qu’il avait “pillées” chez Thalès, un “vol aggravé de données informatiques puni de 5 années de prison et de 300 000 € d’amendes“, précisait le journaliste en commentaire, avant d’enfoncer le clou :

En attendant, Carl exerce déjà un pouvoir de nuisance : au quotidien, il fait fructifier ses talents de pirate, car ce cybermilitant est aussi un cybercriminel qui vole des numéros de carte bleue, pirate des hôtels ou des commerces de luxe, là où on trouve les personnes les plus riches, et il les revend à des contacts en Europe de l’Est. Il estime avoir volé 10 à 15 000 n° de cartes bleues, ce qui lui permettrait d’empocher 4500 euros par mois en moyenne, qui lui servent également à financer des luttes, des caisses de grève.

DCRI contre Anonymous

DCRI contre Anonymous

La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) part en guerre contre les Anonymous. Jeudi, deux membres supposés ...

Sur le forum de France2, des Anonymous -dont Vicieux- dénoncent alors ce qu’ils perçoivent comme une façon de discréditer leur mouvement, qui publie un droit de réponse déplorant une “présentation manipulée afin de correspondre à l’image que le gouvernement français veut donner des Anonymous à l’opinion française, comme précisé dans les commentaires de votre invité du Palais de l’Élysée“.

Caricaturale et biaisée, cette présentation d’Anonymous serait également mensongère : dans un message envoyé à Damien Bancal, le journaliste de Zataz.com qui l’avait mis en contact avec l’équipe de Complément d’enquêtes, Carl explique que le reportage TV lui “fait dire” des choses qu’il n’a pas dite, à commencer par le fait qu’il n’est pas un Anonymous :

“J’ai perdu la foi que je portais au journalisme en regardant le résultat très tres médiocre (du reportage). Ils m’ont fait dire des choses, genre je suis anonymous ou je gagne des sommes de ouf. Ils ont zappé quand je disais defacer (pirater et barbouiller un site web) c’est mal. Je disais que c’était inutile. Malgré les 50 avertissements au monteur, au caméraman, même au son, ils n’ont pas tout flouté.”

Ce dernier point allait entraîner, un mois après la diffusion de ce reportage, l’arrestation de Carl et son placement en détention : non content d’avoir déformé l’image d’Anonymous, et les propos de Carl, les journalistes de Complément d’enquêtes avaient certes flouté son visage, mais pas son véritable pseudo, qui apparaissait sur l’écran de son ordinateur… Et c’est pour éviter qu’un tel #Fail journalistique ne se reproduise que Vicieux a alors accepté de répondre aux questions de certains journalistes.

Actif sur sur Facebook et sur Twitter, et encore plus sur Youtube, où il a partagé 145 vidéos, Vicieux a choisi ce pseudo “parce que c’est plus politiquement correct que “connard” et puis aussi, et surtout, parce que “pour les scientologues, le fait de ne pas être d’accord avec eux ou de protester contre eux est un vice, et j’avoue ce vice avec plaisir et fierté“.

Et ce n’est donc pas seulement parce qu’il fait partie des Anonymous qu’il en porte le masque sur les plateaux TV, mais aussi et surtout pour se protéger des scientologues, qu’il dénonce et combat depuis 2009.

On a trop tendance à l’oublier, mais la figure politique de l’Anonymous est précisément néée, en 2008, pour dénoncer les abus de la Scientologie, avec le projet Chanology qui vit des milliers d’Anonymous manifester devant les locaux de l’église de scientologie.

Ce samedi 25 août à 15h, Vicieux ira, comme il l’a déjà fait des dizaines de fois, manifester à proximité du Celebrity Centre de l’église de Scientologie dans le quartier des Batignolles à Paris, à l’occasion du “Paris International Invasion“, “Mega Raid européen” qui sera probablement le plus important rassemblement jamais organisé par les Anonymous en France.

Plus de 600 personnes se sont inscrites sur la page Facebook de l’évènement. Mais les organisateurs, prudents, tablent plutôt sur la venue (de toute l’Europe, mais également des Etats-Unis) de quelque 200 Anonymous, plus un service d’ordre composé de spécialistes de l’encadrement des manifestations.

Plusieurs Anonymous ont en effet d’ores et déjà été malmenés, voire frappés, par des scientologues que ce genre de démonstrations à tendance à énerver. Ce pour quoi, d’ailleurs, ils manifestent à visage couvert, afin, également, d’éviter le traitement spécial infligé à Nono la Patate, clown de profession habitant les Batignolles, et qui lutte contre la scientologie, qui le lui rend bien : l’église a réussi, par deux fois, à le faire condamner par la justice pour avoir qualifié l’un de ses membres d’”escroc spirituel“.

La manifestation “festive” a été autorisée par la préfecture, qui n’a pas interdit aux manifestants de défiler masqués. Début août, des Anonymous ont pourtant été verbalisés lors d’un précédente manifestation devant un local de la scientologie, comme le révélait le site d’information participatif Entre Défenseurs du net :

Tout se passait bien avec un esprit « bon enfant » jusqu’à l’arrivée de la police. D’eux même et habitués, les Anonymous se sont alors regroupés sur le côté en attendant d’être contrôlés.

A la demande de la police, et une fois hors de vue des scientologues, ceux-ci retirent immédiatement leurs masques et présentent leurs papiers d’identité (l’un des manifestants, portait un masque anti poussière sous celui-ci).

A ce moment, l’un des policiers débarque et tout dégénère. Il commence à tutoyer les anons puis arrache violemment le masque anti-poussière, avant de forcer un autre à arrêter de filmer. Pour cela, il aurait prétexté une palpation, aurait pris la caméra et l’aurait laissée tomber par terre en disant d’un ton ironique « oops je suis vraiment désolé, j’ai pas fait exprès ».

En général, ça se passe bien, les policiers voient qu’on fait pas les idiots“, précise à Owni l’Anonymous bousculé. “Une fois sur deux, ils demandent d’enlever les masques“, pas ce jour-là :

Un policier est sorti de son droit de réserve, pour préciser que c’était une église comme une autre, il a arraché le masque chirurgical d’un des Anonymous (qui avait une prescription médicale, NDLR), il arrêtait pas de me tutoyer, je lui ai dit que je ne répondrai plus s’il continuait à me tutoyer : il a donné un coup dans mes mains, mon masque, mon portefeuille et mon paquet de craie sont tombés par terre

A l’Anonymous (démasqué) qui lui demande son n° de matricule, le policier ironique répond : “ouuh j’ai peur dis donc : mon matricule c’est 118 218, Paul Dupont“, avant de le plaquer au mur et de faire tomber son sac.

Les 5 Anonymous s’en sont sortis avec une amende de 90€ pour “dissimulation volontaire du visage sans motif légitime afin de ne pas être identifiés lors d’une manifestation sur la voie publique faisant craindre des atteintes à l’ordre publique” en vertu de l’article 645-14 du Code pénal.

Or, ce dernier, connu sous l’intitulé décret “anti-cagoule” et créé suite aux débordements en marge du sommet de l’OTAN en 2009, prévoit une contravention de 5e classe pouvant aller jusqu’à 1500€. La loi d’octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public prévoit quant à elle, une contravention de 2e classe, et donc une amende de 22 à 35€. Le policier, de son côté, leur a délivré une amende de 4e classe… et s’est donc trompé.

La DCRI veut un calin

La DCRI veut un calin

Trois #Anonymous présumés ont été arrêtés par la DCRI. Le service de contre-espionnage français en recherche un ...

Les Anonymous ont décidé de contester le PC : “ On ne se masque pas pour le plaisir! rapporte Le Parisien. Si l’on ne montre pas nos visages, c’est parce qu’il y a un risque évident de représailles des scientologues. D’ailleurs cette organisation nous a déjà agressés“. L’article R645-14 précise à ce titre que le texte n’est pas applicable “lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime“.

Suite à la condamnation des trois punkettes russes du groupe Pussy Riot, 7 manifestants -5 poètes, un éditeur et Christian Poitevin, l’ancien adjoint à la culture de Robert Vigouroux- ont quant à eux été embarqués au commissariat à Marseille parce qu’ils “portaient des cagoules sur la voie publique” :

On est venu ici pour défendre la liberté d’expression en Russie et on se retrouve arrêtés en France !

On a été embarqués dans un camion de CRS toutes sirènes hurlantes ! Même les voyous à la kalachnikov ne sont jamais escortés aussi glorieusement…

Pour répondre à la polémique ayant fait suite à ces arrestations, les services de police ont expliqué que le rassemblement, organisé à travers les réseaux sociaux, n’avait pas été déclaré, évoquant également une récente manifestation contre la “vidéo-protection” où des caméras avaient été dégradées par des individus masqués.


Photos anonymous par Melissa Toh et OccupyOnTour sous licence Creative Commons via Flickr. Photo Anonymous kitschissime via Anonymous vicieux

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Ton Président dans ton salon http://owni.fr/2012/02/09/ton-president-dans-ton-salon/ http://owni.fr/2012/02/09/ton-president-dans-ton-salon/#comments Thu, 09 Feb 2012 09:35:41 +0000 Jean-Paul Jouary http://owni.fr/?p=97694 Les Guêpes, le philosophe grec vilipende les démagogues qui ont perverti la démocratie athénienne. « Ces beaux parleurs (...) installés dans les hauts postes avec leurs flatteurs à gages ». De vieux acteurs d'un drame politique, donc. Que Jean-Paul Jouary a retrouvé dans son salon du XXI° siècle. ]]>

Citation : « La rhétorique est la contrefaçon d’une partie de la politique » Platon

Dimanche 29 janvier 2012, curieusement, je passe la soirée avec le Président de la République, ou plutôt, il passe la soirée dans mon salon et il me parle, à moi, il me prend à témoin, il me fait confiance, il flatte mon bon sens. J’entends ces phrases, « je veux dire aux Français », « les Français me comprennent », « les Français savent parfaitement ce qu’il en est », « chacun va comprendre », « je suis là pour parler aux Français », « les Français attendent des décisions », puis (à propos de F.Hollande) « il n’y a pas un Français qui croit que c’est vrai », il prévoit une « ruine », une « folie »… On dirait qu’il a lu mes deux chroniques précédentes et veut me donner raison, il m’invite à voter pour l’enfer. Il est tout près de moi, il me regarde, et nous sommes quinze millions à quelques centimètres de lui, quelle que soit la chaîne réglée.

Les autres candidats, de toute façon – ou du moins ceux qui ont le droit de mobiliser tous les écrans – sont passés aussi par mon salon ou rêvent d’y passer. Je passe à la télé donc je suis est devenu le premier principe de la vie politique comme du Top Chef pour une autre cuisine : c’est au sommet de la société que se concentre le pouvoir de décider qui aura le droit de séduire et qui ne l’aura pas, ou qui l’aura moins. L’orateur est là, qui a préparé ses mines et ses mots, puisque ce ne sont point les idées ni les actes qui devront décider, mais l’image et le charisme. J’avais il y a des années organisé un sondage IFOP sur Darwin ou Einstein, le premier avait obtenu 33% des voix sur le principe de l’évolution, et Einstein un petit 6%, ce qui laissait imaginer ce qu’aurait donné un duel oratoire télévisé entre les deux savants et quelques professionnels de la communication. Entre le raisonnement sur les réalités et l’art oratoire qui flatte notre subjectivité, le second a toujours quelque avantage si je reçois passivement ses mots en face à face. M’est alors revenue la phrase de Jacques Attali en 1972 :

La clarté du débat politique n’a jamais été une priorité politique.

Puis, en 1980 :

Il ne s’agit plus, pour changer le monde, de le dominer, ni de le raisonner, mais de le séduire.

Lorsque la démocratie fut inventée dans la Grèce de l’Antiquité, certains orateurs qui s’adressaient au peuple des citoyens assemblés sur l’Agora payaient les services des sophistes, maîtres de rhétorique, pour séduire déjà, et emporter des majorités à coup de beaux discours, sans souci de vérité ou de justice. Ce n’est pas sans raison que le dramaturge Aristophane, qui fut élève de Socrate, mit en scène de façon ironique et violente, dans Les guêpes, ces « beaux parleurs qui nous gouvernez », « démagogues de carrière », « installés dans les hauts postes avec leurs flatteurs à gages ». Ce n’est pas sans raison non plus qu’un autre élève de Socrate, Platon, dénonçait dans Le Gorgias, les orateurs qui se donnaient « l’air d’en savoir plus que n’en savent les connaisseurs », et ajoutait que « la rhétorique est la contrefaçon d’une partie de la politique ».

Platon (à gauche) et Aristote (à droite). Détail du tableau l'Ecole d'Athènes de Rafael Sanzio de Urbino. Wikimedia Commons (Domaine Public)

Les maîtres de rhétorique d’alors, équivalents antiques de nos « conseillers en image », formaient les capacités des démagogues afin qu’ils parviennent à convaincre les électeurs, lesquels ne disposaient il est vrai ni d’une éducation nationale obligatoire, ni d’une presse d’opinion. Du moins étaient-ils alors soucieux de voter toutes les lois et ne permettaient à aucun gouvernant de décider à leur place. Mais le face à face physique de l’orateur et de l’auditeur, sur l’Agora, permettait de s’adresser directement aux sentiments et aux passions, de séduire et charmer, si bien que peu de place était laissée en fin de compte au raisonnement et au débat rationnel. C’est ainsi que la première démocratie, où furent créées aussi bien les mathématiques que la philosophie, put condamner à mort et exécuter le premier philosophe au sens propre, Socrate, tandis qu’elle laissait libre cours aux violences iniques et aux courses aux richesses. On connaît la suite : cette perversion de la démocratie précéda la décadence d’Athènes, qui cessa de féconder la pensée et les pratiques politiques de l’humanité.

Ensuite la démocratie disparut sous la chape des pouvoirs théocratiques absolus. Puis sa difficile résurrection, du milieu du XIXème siècle jusqu’à la télévision, fit voter les citoyens pour des idées, des partis, des modèles divers, au terme de débats et actions militantes certes d’inégale rigueur, mais qui eurent le mérite d’impliquer activement les citoyens. L’orateur était loin, invisible, objet d’images de presse dans le meilleur des cas. Ces images de presse étaient souvent d’une extrême violence symbolique, mais demeuraient le support d’idées, d’idéaux ou de sentiments.

C’est la télévision qui a réinstauré le face à face antique entre l’orateur et le citoyen, les conseillers en communication remplaçant les sophistes mercantiles pour théâtraliser le discours, avec intonations et mises en scène adéquates. Avec le transfert massif de la souveraineté vers le sommet de l’Etat et des maîtres de l’économie, c’est la capacité à produire ces images qui est devenue un véritable monopole, tandis que toutes les formes de discussion décentralisée, les moyens de converser directement deviennent les bêtes noires des princes modernes. Ce n’est pas sans raison que les mouvements indignés remettent au premier plan une volonté moderne de débattre malgré les médias centralisés, et que de véritables guerres se multiplient en France comme partout dans le monde entre ces princes et les diverses formes de mises en réseaux incontrôlables. Il ne s’agit pas de faits divers ou d’anecdotes passagères, mais sans doute de l’émergence de nouvelles formes de lutte, de nouveaux enjeux, de formes inédites d’expression et de manifestation des aspirations citoyennes. A suivre…

NB : on peut lire et relire, de Platon, le Gorgias, le Ménon, La République, le Protagoras par exemple. Et d’Aristophane, Les guêpes, Lysistrata, l’Assemblée des femmes, les nuées, etc. Et puis, une fois encore, Rousseau.


Poster-citation par Marion Boucharlat pour Owni.fr.
Textures par Essence of Dream/Flickr (CC-bync)
Détail du tableau l’Ecole d’Athènes de Rafael Sanzio de Urbino via Wikimedia Commons (Domaine Public)

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La révolution de la télé http://owni.fr/2011/11/24/revolution-tele-connectee-internet/ http://owni.fr/2011/11/24/revolution-tele-connectee-internet/#comments Thu, 24 Nov 2011 07:18:59 +0000 Eric Scherer http://owni.fr/?p=88025 La série continue. Avec Internet et la révolution numérique, la destruction créatrice, qui a bouleversé de fond en comble les industries de la musique, de la presse et du livre, s’abat aujourd’hui sur le monde de la télévision. Elle risque d’y être plus rapide et plus rude. Et comme pour les autres vieux médias, la création de valeur risque de se faire ailleurs, mais la destruction chez elle. Avec, de toute façon, un grand gagnant : le téléspectateur, qui deviendra télénaute !

Révolution télévisée

Les signes révélateurs, et puissamment déstabilisateurs pour toutes ces institutions qui se croyaient solidement en place, sont bien les mêmes :

1. Explosion de l’offre. Fin des monopoles de la production et de la diffusion, effondrement des barrières à l’entrée, abondance de nouvelles offres meilleur marché qui séduisent, désintermédiation et nouveaux intermédiaires, recul des revenus traditionnels, nouveaux rapports de force.

2. Nouveaux usages. Rapides et profonds changements générationnels dans le mode d’accès à l’information, la culture et le divertissement, consommés à la demande.

3. Primat de la technologie, de l’expérience sur le contenu — qui n’est plus roi–, et de l’accès sur la possession. Le message, c’est de plus en plus le médium.

4. Démocratisation et prise de pouvoir du public, qui contribue, interagit, programme, coproduit, assemble, commente, recommande, partage.

5. Atomisation des contenus, fragmentation des audiences.

6. Dématérialisation et disparition progressive des supports physiques, piratage facilité par l’usage généralisé du réseau.

7. Déflation. Désintégration des modèles économiques non transposables, modèles de rechange introuvables alors que la demande croît, course à l’attention et au temps de cerveau disponible, migration et éparpillement de la publicité captée par d’autres –souvent à l’étranger–, inquiétudes sur le financement de la création.

8.Bataille pour le contact direct avec l’utilisateur, dont les données sont commercialisées.

9. Certitude et rapidité du changement, de la propagation et de l’appropriation de nouvelles technologies en rupture, instabilité des processus, internationalisation des marchés, marques globales.

10. Conservatisme, défiance, rejet. Sidération et crispation des dirigeants face à la complexité du nouveau paysage, inquiétude des personnels mal armés, résistance corporative et culturelle au changement, impuissance des politiques dépassés, — souvent tous digital tardifs !

Ces dix indicateurs mondiaux de chambardements sont d’autant plus similaires que les frontières entre médias s’estompent au fur et à mesure de l’évolution des technologies et de l’adaptation de différents contenus, qui se chevauchent et convergent sur l’Internet, plate-forme dominante.

D’où ces interrogations :

Les leçons de quinze années de chamboulements douloureux dans la musique et la presse seront-elles tirées ?
La télévision traditionnelle du 20ème siècle résistera-t-elle mieux à la mondialisation numérique et à l’Internet ouvert ?
Saura-t-elle tirer parti de l’appétit croissant du public pour l’image dans une culture de l’écran qui s’installe ? Ou va-t-elle se raidir, s’arc-bouter en cherchant à protéger coûte que coûte – et assez vainement – ses sources traditionnelles de revenus ?
Adoptera-t-elle assez rapidement les nouvelles manières du public de consommer facilement des contenus partout ? Laissera-t-elle le télénaute frustré s’en aller ailleurs regarder plus de contenus sur plus d’écrans ? L’empêchera-t-elle de retransmettre et de partager ?
Pourra-t-elle s’enrichir des nouvelles contributions, des nouvelles formes d’écriture ? Trouvera-t-elle de nouveaux modèles d’affaires ? Saura-t-elle lâcher prise pour se réinventer ?

En schématisant, deux scénarios se dessinent:

Scénario pessimiste :

Au milieu de la déferlante de terminaux connectés, le téléviseur devient un écran parmi d’autres, qui donne accès aux vieux contenus TV, perdus dans des millions d’autres au sein du réseau.

Scénario optimiste :

Internet enchante la télévision qui garde une place centrale. C’est l’âge d’or de la télévision.

A court terme, le second scénario est possible à condition d’accepter que la télévision ne sera plus la télévision telle que nous l’avons connue.

Car si malgré bientôt vingt ans d’Internet, la télévision est en mesure de rester au centre de nos vies au foyer, c’est avant tout parce qu’elle ne répond plus du tout à la même définition qu’avant, et qu’elle va se consommer très différemment.

La télé décloisonnée

D’un écran d’affichage doté de quelques chaînes qu’on parcourt (presque de la vente forcée !), elle est en passe de devenir le cœur de la maison connectée, de se transformer en réservoir d’une multitude de contenus et services logés dans le “cloud”, consommés à la carte et disponibles sur d’autres terminaux. C’est-à-dire, sous peu, la porte d’entrée principale du web et la fenêtre sur tous les contenus. Des contenus d’information, de culture et de divertissement, mais aussi de santé, d’éducation ; des services de communication (visio-conférence) etc…

Mais la technologie est en train de modifier le divertissement. Avec leur ADN très technologique, de très nombreux nouveaux acteurs innovants, dynamiques et surpuissants – souvent déjà des empires mondiaux — travaillent à briser rapidement l’ordre audiovisuel établi pour organiser au mieux cette nouvelle expérience enrichie. Ils inventent de nouvelles interfaces vidéo, agrègent et vendent des contenus créés par d’autres, proposent de nouveaux formats et modèles d’affaires, court-circuitant au passage les tenants de l’ancien système. Même les fabricants de téléviseurs, travestis en agents immobiliers d’écrans, veulent devenir éditeurs !

Tous sont en train de forcer le décloisonnement entre le monde audiovisuel fermé et celui ouvert du web.

Les nouvelles règles de la télévision, dernier écran à ne pas être complètement connecté, sont réécrites sous nos yeux pendant que bascule l’équilibre entre médias et sociétés technologiques au profit des nouveaux redistributeurs, qui ont devant eux un boulevard permis par l’appétit insatiable du public.

Déjà Hollywood, qui espérait en vain que le public achète – même en ligne – et conserve ses productions, se convertit au streaming.

Les accords se multiplient en cette fin d’année entre, d’une part les studios d’Hollywood et les grands networks beaucoup moins dominants, et d’autre part les nouvelles plateformes des géants du web, pleins de cash. Il s’agit d’offrir au public et en streaming films, séries et grands shows TV sur le Web via tous les terminaux possibles. Cette nouvelle diversification des revenus, en plus de la publicité et des opérateurs, permet aussi d’éviter le piège de la concentration de l’offre cinéma et l’apparition d’un acteur central (comme iTunes pour la musique).

Au passage et contrairement à un positionnement technologique initial, Google, YouTube, Facebook deviennent devant nos yeux des médias producteurs et financeurs de contenus propres. Google a d’ailleurs assez d’argent pour racheter tout Hollywood, Apple vaut plus que les 32 banques de la zone euro réunies et Netflix fait des chèques en centaines de millions de dollars.

En sens inverse, pour survivre, les médias et leur ADN fait de contenus, sont forcés avec grande difficulté de se transformer en sociétés technologiques, remplies de logiciels intelligents, sans pour autant comprendre et mesurer l’impact de cette transformation au cœur de leur organisation. Car il ne s’agit plus seulement de publier ou de diffuser, puis d’attendre le lecteur ou le téléspectateur, mais d’offrir le bon contenu, au bon moment, et au bon endroit à un public qui jouit désormais d’une multitude d’offres concurrentes. C’est à dire d’avoir une connaissance presque intime de son audience, de son public, de chaque utilisateur pour créer une expérience pertinente. Tout le contraire d’un mass media ! Le défi est bien désormais de parvenir à offrir du “sur-mesure de masse” !

La réception des contenus à la maison est devenue totalement numérique. Et les chaînes de télévision ne vont plus être les seuls acteurs à pouvoir contrôler les points de contacts entre contenus vidéo de qualité et audiences. Perdant le contrôle de la diffusion, elles ne pourront plus, comme pour la musique, jouer de la confusion commode entre mode de distribution et contenus eux-mêmes. Elles ne pourront plus imposer leurs grilles de programmes, et sans doute, assez vite, leurs chaînes.

Le prime time, c’est tout le temps et partout !

L’accès ubiquitaire aux contenus audiovisuels va vite devenir une réalité pour le public où qu’il soit dans le monde. Comme le disait l’un des pères de l’Internet, Vint Cerf, la TV approche de sa phase iPod. La distribution numérique et multi-écrans de programmes TV via Internet se généralise. Le cloud arrive à la maison. Et comme le télénaute souhaite désormais ses contenus TV aussi bien sur son PC que sur sa tablette, son smartphone ou sa console de jeux, il faudra l’aider à les trouver. D’où l’importance cruciale des métadonnées pour faciliter distribution et placement judicieux des contenus.

Les fabricants de téléviseurs étant plutôt lents à réagir, tous les géants du web travaillent aujourd’hui à un “relooking” de la télévision facilitant les passerelles avec l’Internet et tous les terminaux : Google et la V2 de sa Google TV, Microsoft et bien sûr Apple. Mais aussi les opérateurs de télécommunications, notamment en France, leader mondial de l’IPTV.

Chacun tente d’organiser le mieux possible la nouvelle expérience télévisuelle, la “lean back experience” (usage d’un écran en position relax).

Les modes d’accès de la découverte des contenus TV – imposés jusqu’ici par des chaînes— se multiplient et laissent la place aux nouvelles pratiques culturelles de la génération Internet : recherche, recommandation et jeu. Comme ailleurs, la consommation à la carte remplacera le menu, les conseils des amis prendront le pas sur les magistères, l’interaction ludique sur la consommation passive. Les ” watchlists” vont s’ajouter aux “playlists”.

Certains chercheront la martingale avec un media hybride parfait, d’autres se contenteront de faire ce qu’ils savent le mieux, sans vouloir tout accomplir. Mais le triptyque mobile / social / vidéo sera désormais au cœur des stratégies.

L’accompagnement actif des flux et du direct TV par une partie de l’audience et sur un second écran se met en place massivement sous l’appellation “Social TV”. Rapidement, il met le télénaute – devenu acteur – au centre du dispositif et des programmes. Facebook et Twitter enrichissent l’expérience TV par une nouvelle conversation en temps réel autour des émissions. Et la communion n’a pas nécessairement lieu au même moment. Dans une culture de retransmission, c’est le partage qui devient fédérateur, et le public qui devient auteur, éditeur, coproducteur et bien sûr, commentateur. Aux créateurs et producteurs traditionnels désormais d’y penser en amont. Comme à l’enrichissement contextuel, consommé sur un second écran, et qui permet aussi d’en savoir plus.

La télévision, c’est avant tout du divertissement fédérateur, tandis que l’ensemble ordinateur/smartphone/tablette permet d’abord l’accès à la connaissance et à la communication. Le mariage des deux univers suscitera probablement l’émergence de nouvelles écritures par de nouveaux acteurs dans un paysage recomposé … En tous cas moins de contenus prétendus « légitimes ». Et c’est tant mieux !

A la recherche de modèles économiques de rechange

De nouveaux modèles d’affaires peinent à émerger. Mais les nouveaux agrégateurs / redistributeurs s’appuient sur leurs avantages compétitifs habituels : facilité à répliquer à grande échelle et capacité à rendre leurs utilisateurs captifs.

Dans le même temps, l’audiovisuel défend bec et ongles ses revenus traditionnels. Tout le monde court donc après la manne publicitaire de la télévision, toujours énorme par rapport aux autres médias. Mais la gestion des droits, notamment en streaming, augmente les incertitudes, et surtout, les perspectives de retour dans la récession inquiètent. Chacun sent que la migration vers la publicité en ligne – qui n’en est qu’à ses débuts — en sera favorisée. Le marché des applications aussi.

Le modèle “sur-mesure de masse” provoque une rude bataille pour obtenir le contact final avec le télénaute (facturation) et sa connaissance intime (pub ciblée) : HBO a bien plus de 25 millions de téléspectateurs mais ne les connaît pas, contrairement à Netflix, à Canal+, ou aux opérateurs de “triple play”en France. Gare aussi à la bataille annoncée pour la première page des magasins d’applications.

Mais la télévision semble éviter deux écueils majeurs payés cash par la musique et la presse : elle apparaît moins lente à proposer une offre légale en ligne (qui enrayera le piratage) et elle est en mesure de faire payer des contenus numériques, même si la vidéo en ligne rapporte peu pour l’instant. Et puis, les gens capables de produire des films et des séries sont quand même moins nombreux que les créateurs de musique ou de texte en ligne ! Le public passe plus de temps à retransmettre qu’à créer des contenus. C’est une chance pour les professionnels. N’oublions pas l’époque où dans la musique, pirater voulait dire enregistrer un disque vinyl sur une cassette vierge !

Les atouts de la télé

Après un web de publication (années 90), puis le web social contributif (2.0), arrive aujourd’hui le web audiovisuel et de divertissement (“lean back”) où la vidéo joue un rôle central et où tout le monde participe. Mais la valeur a migré des créateurs aux agrégateurs de contenus. Sans différentiation et valeur ajoutée, le prix des contenus tend vers leur coût marginal. C’est-à-dire, dans le numérique, proche de… zéro.

La télévision tente de donc déplacer et réinventer sa valeur autour de quelques axes :

1 – La qualité, le soin et la rigueur de l’écriture des séries de fiction : nouvel âge d’or de la TV. L’air du temps culturel (Zeitgeist) est aujourd’hui aux grandes séries de qualité (Mad Men, The Wire, Les Borgia …) devenues, à l’époque Internet, des phénomènes sociologiques de reconnaissance plus fédérateurs que le livre ou la musique. Nous nous retrouvons sur Facebook et partageons volontiers un frisson commun pour une série. Correspondant bien à notre temps d’attention disponible, elles offrent des performances artistiques de très haut niveau : scénario, mise en scène, grands acteurs, dialogues, réalisations, montage, etc… Mais la France y est en retard.

HBO, avec ses séries originales, populaires et innovantes de très grande qualité, constitue une des forces actuelles de la création audiovisuelle américaine et a largement contribué à redéfinir l’offre culturelle tout en forçant les autres chaînes à hausser leur niveau de jeu. Même tendance au Royaume Uni ou en Espagne.

Les créateurs et détenteurs de droits n’ont donc pas dit leur dernier mot. Car s’il est désormais crucial de s’allier avec les nouveaux distributeurs, ceux-ci ne peuvent rien sans des contenus de qualité. Mais le monde traditionnel de la création, qui vit en circuit fermé, a encore du mal à parler avec le monde de l’Internet. Les rapports de force seront cruciaux, y compris avec le législateur et le régulateur.

L’offre de contenus exclusifs et de haute qualité, où le paiement n’est pas tabou, éloigne les risques de nivellement par le bas. Mais il faudra éviter de croire que la qualité est propre aux chaînes et gare au “good enough is perfect” : des offres meilleur marché très acceptables (iPod, iTunes, Netflix …) ont prouvé qu’elles pouvaient s’imposer !

Quand on se bat pour l’attention des gens, sollicitée par des millions d’autres possibilités, vous avez intérêt à vous assurer qu’ils continueront de venir chez vous !

2 – Les grands directs et les grands événements fédérateurs, en sport, politique, talk-shows, spectacles vivants, sont encore des valeurs sûres du savoir faire des grands acteurs traditionnels de la télévision, notamment en raison de la détention des droits. La fraîcheur des contenus peut aussi être valorisée. La téléréalité de qualité également. Elle a permis la première vague d’arrivée massive du public dans les émissions et les programmes.

3 – La TV partout ou le multi-écrans. C’est la stratégie de Time Warner qui constitue à systématiser l’offre sur absolument tous les supports et en toutes conditions (Web, mobilités, réseaux sociaux, applications, câble, satellite, IPTV, etc…). La facilité d’accès est le premier service. La multiplication des points de contact favorisera les possibilités de monétisation. La prolifération de magasins de vidéos en ligne est une opportunité pour les riches catalogues des chaînes de télévisions et des producteurs de contenus vidéo. Cette tendance encouragera la fragmentation des contenus, le “cord cutting” du câble et des telcos, et accélérera le déchaînement … des chaînes.

4 – La TV traditionnelle, éditeur repère. Submergé par l’hyper-offre déferlante de contenus de qualité diverse, et donc confronté à l’hyper-choix, le télénaute sera en quête de repères, de tiers de confiance, qui l’aideront à remettre de l’ordre, à faire des choix, thématiser, réduire le bruit, s’éloigner du piratage. La certification et le sérieux apportés par des marques –encore familières– sauront l’accompagner et répondre à un nouveau besoin de médiation avec l’assurance d’une expertise reconnue. Cette dernière devrait être mise à profit pour organiser aussi l’offre des tiers, aider à trouver les contenus, leur donner du sens. Dans un nouvel univers inédit d’abondance, la qualité des contenus alliée à la clarté et la simplicité d’usage deviendront aussi, rapidement, de nouvelles valeurs ajoutées gagnantes.

5 –Favoriser la recherche et développement. Pour les programmes, les émissions, la publicité. Mettre le public en amont dans la conception et la production. Préparer à la source des expériences médias qui s’adaptent à la nouvelle vie des gens. Accepter de coproduire et de perdre un peu de contrôle. Partager et se familiariser à la grammaire des nouveaux médias, à la littératie numérique. Dire contenu à la place de programme, c’est aussi transformer la télévision.

Parallèlement, et c’est leur caractéristique, la disruption numérique et la révolution Internet se déroulent extrêmement rapidement, plus vite, souvent, que notre capacité d’adaptation. Sous nos yeux se créé une nouvelle culture digitale d’individus connectés entre eux, qui sont aussi dépendants du réseau que nous le sommes de l’électricité.

Aux Etats-Unis, les emplois dans les médias numériques sont désormais plus nombreux que dans le secteur de la télévision du câble. Facebook et son écosystème d’applications aurait déjà généré plus de 200.000 emplois et contribué pour plus de 15 milliards de dollars à l’économie américaine. Google, qui tire plus de 95% de ses revenus de la pub, réalise deux fois le chiffre d’affaires de toute l’industrie mondiale de la musique, Kodak a fait faillite, tweet et Twitter sont entrés dans le Petit Robert, le “hashtag” devient un code du langage.

Quelques raisons de rallumer

Arrivée de l’ubimédia. Le “cloud” nous offre de larges capacités de stockage et de bande passante en supprimant la nécessité d’installer et de maintenir des logiciels ; les smartphones et tablettes facilitent l’accès ubiquitaire aux contenus et services; les réseaux sociaux multiplient les connexions horizontales professionnelles, personnelles et les collaborations au delà des frontières.

Les géants Google, Microsoft, Apple, Amazon, Facebook… sont de plus en plus mondiaux, de moins en moins américains. Les internautes des grands pays émergents (Chine, Inde, Russie, Iran, Nigéria, Brésil) de plus en plus nombreux. Il y a aujourd’hui plus d’utilisateurs de réseaux sociaux qu’il n’y avait d’internautes en 2006 ! Ils sont 800 millions (dont un Français sur trois) sur Facebook, qui, au centre du web est devenu l’OS de nos vies connectées ! Le temps passé sur les médias sociaux dépasse désormais celui des grands portails.

Et comme les autres, les Français passent de plus en plus de temps, sur de plus en plus d’écrans.

Grâce au design, Steve Jobs a fortement contribué à transformer l’informatique en industrie culturelle, à la faire sortir du bureau pour irriguer et enrichir nos vies, à la maison, en déplacement, à changer le vocabulaire média. Les chansons deviennent des listes, les abonnements des applications. Il a privilégié la forme sur le fond, l’esthétique et l’accès sur les contenus. Après les interfaces textes, puis graphiques, le regard, le toucher, la voix, les gestes, sont mis à contribution. Déjà, la réalité augmentée enrichit des expériences médias.

Le boom de la mobilité. L’Internet sur soi défie la récession : la progression des utilisateurs de 3G a fait un bond de 35% en un an dans le monde. Dans les pays riches, 40% de la population possède un smartphone, dont les ventes dépassent désormais celles de portables classiques.

Les tablettes et les smartphones sont plus vendus que les ordinateurs. Les iPads plus demandés que les iPhones ou iPods. Les claviers physiques disparaissent. Le monde applicatif gagne du terrain. La publicité et les grands annonceurs s’y mettent. Les objets mobiles de plus en plus connectés et intelligents renforcent l’autonomie des individus. L’informatique est de plus en plus personnalisée, souvent malgré soi.

Médias sociaux en temps réel. A chaque seconde nous racontons aux autres nos vies et nos rêves. Les médias traditionnels comprennent qu’il ne suffit plus que les gens viennent à eux : il faut aller aussi à leur rencontre. Et aujourd’hui, les gens sont sur Facebook, lieu de consommation et de partage privilégié de contenus, qui a quasiment annexé le reste du web et risque bien de devenir rapidement le distributeur incontournable de médias. L’immédiateté est la nouvelle unité de temps, l’attention la nouvelle monnaie et les données le nouveau pétrole.

“Big data”, data farming. Les données sont désormais vitales pour chaque entreprise. Leur collecte et leur analyse vont déterminer les nouveaux modèles d’affaires, notamment pour le ciblage comportemental. Les métadonnées accolées aux contenus vidéo vont devenir le nouveau lubrifiant indispensable du nouvel écosystème. Mais l’utilisation croissante des données personnelles par les grands, Google, Facebook, Amazon, suscite des craintes croissantes. La protection des données personnelles devient un enjeu crucial, notamment à l’heure de l’essor des technologies de reconnaissance faciale.

Mais rien n’est garanti. La bataille entre Internet ouvert et univers contrôlés fait rage : ni Facebook, ni l’iPad, ni la Xbox ne sont des espaces ouverts. L’accès de tous aux contenus et au réseau est aussi menacé, alors qu’Internet est un bien stratégique d’intérêt public. L’égalité de traitement de tous les flux de données, qui exclut toute discrimination à l’égard de la source, de la destination ou du contenu de l’information transmise sur le réseau, devrait être garantie par les pouvoirs publics.

La télé mute avec nous

Les supports physiques de l’information et des médias semblent arrivés au bout du chemin. Les téléviseurs, eux-mêmes, risquent de disparaître pour se fondre dans notre environnement. Des interfaces existent déjà pour intégrer les images animées et sonorisées dans un miroir, une table en verre. Demain, avec un nouveau design, elles seront partout (sur nos murs, vitres, mains…) pour des expériences médias qui se dissoudront tout au long de la journée dans nos vies, sans rester confinées à un objet ou liées à un moment précis. Grâce à la reconnaissance vocale, elles se commanderont à la voix.

C’est le pronostic d’arrivée de l’information dématérialisée et ubiquitaire : nous serons immergés en permanence dans un univers informationnel où l’information sera disponible partout, tout le temps. Un univers qui s’inscrit bien sûr dans un monde de plus en plus connecté, où l’intégration off et online, notamment en mobilité, va s’accélérer, tout comme la fusion des usages entre nos vies privées et professionnelles.

Nous sommes tous des télés !

Internet a fait du texte, de la photo, de la vidéo des objets banals, peu coûteux à produire et faciles à transmettre. Nous sommes tous devenus des médias, et nous serons bientôt tous des télés ! Chaque entreprise, ministère, club sportif, acteur de cinéma, petit commerçant ou quotidien régional aura son application sur le téléviseur, comme ils ont tous leur site web et leurs applis smartphone ou tablette.

C’est donc dès maintenant – pendant l’installation de coutumes nouvelles – que les acteurs traditionnels doivent privilégier une stratégie offensive et embrasser ces usages en accompagnant le public avec leurs marques fortes. Si elles sont absentes, le télénaute ira voir ailleurs. Rappelez-vous, il n’y a déjà plus de chaîne hifi au salon, mais il y a encore de la musique !

Gare au danger de voir encore s’accroître le fossé déjà important entre la société et une offre TV dépassée, où le public ne se retrouve déjà plus. Attention donc au manque criant de pertinence d’intermédiaires obsolètes continuant à proposer des pains de glace à l’époque des réfrigérateurs. Et il y a danger de croire que l’ordre établi pourra continuer, seul, de contrôler un paysage si changeant et si complexe. La télévision est furieusement contemporaine si elle est enrichie et “smart” !

Ce n’est donc pas la fin de la télévision, mais la naissance d’une toute nouvelle TV, qui n’a rien à voir avec celle des années 80. La convergence actuelle de la télévision et d’Internet est une chance pour rapprocher les citoyens, les accompagner, les mettre en contact avec des services jusqu’ici isolés, partager les connaissances, leur permettre de prendre davantage part au monde de demain qui se met en place aujourd’hui.

Il s’agit bien d’une révolution culturelle.


Article initialement publié sur Meta-media


Photos et illustrations via Flickr : PaternitéPas d'utilisation commercialePartage selon les Conditions Initiales jaygoldman, PaternitéPas d'utilisation commercialePas de modification Danny McL, PaternitéPas d'utilisation commerciale fd

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http://owni.fr/2011/11/24/revolution-tele-connectee-internet/feed/ 220
L’oeuvre médiatique du 11 septembre http://owni.fr/2011/09/07/loeuvre-mediatique-du-11-septembre/ http://owni.fr/2011/09/07/loeuvre-mediatique-du-11-septembre/#comments Wed, 07 Sep 2011 11:05:23 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=78420 La question revient sans cesse. Comment nous débrouillons-nous avec les milliers d’images auxquelles nous sommes exposés en permanence ? La réponse est simple. L’image n’arrive pas seule, mais accompagnée d’une indication d’échelle qui – par sa taille, sa répétition ou d’autres facteurs de valorisation – situe son importance relative dans la hiérarchie de l’information. Cette indication d’échelle, sans laquelle il nous serait bien difficile de nous orienter dans le paysage médiatique, passe habituellement inaperçue. Elle est pourtant décisive : nous jugeons important ce qu’on nous dit qui est important.

Dès le 11 septembre 2001, les images de l’attentat new-yorkais ont été dotées de la valeur d’information maximale. Retransmises en direct, puis indéfiniment reprises, multidiffusées, commentées, republiées, elles ont été elles-mêmes l’instrument de la construction de leur signification, par un effet de saturation sans précédent de tous les canaux informationnels. Catastrophe bien réelle, 9/11 est aussi, indissociablement, une œuvre médiatique.

Un vieux fantasme

La figure de l’événement partagé en direct par la population à travers la médiation du petit écran est un vieux fantasme des médias, dont on trouve de nombreux exemples au cinéma. Dans Le Jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise, 1951), l’arrivée d’une soucoupe volante voit sa construction événementielle se réaliser en temps réel par la retransmission télévisée.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

L’apparente magie de cette conjonction suppose la mobilisation d’un dispositif complexe, dissimulé par l’illusion d’immédiateté – au minimum la mise en réseau du public et la disponibilité des moyens audiovisuels au moment adéquat. En dehors d’événements programmés, cette figure s’avère difficile à mettre en œuvre. L’évenement ne se laisse pas capturer si facilement : il faudra attendre l’assassinat de Kennedy, le 22 novembre 1963 à Dallas, pour qu’elle rencontre sa première incarnation télévisée.

Celle-ci est bien différente de la fiction. Nulle image des coups de feu – que les caméras de télévision n’ont pas enregistrés – n’est alors diffusée. L’événement que les Américains partagent en direct n’est pas le meurtre, mais la gestion télévisuelle de son après-coup, entre images insignifiantes et commentaires hésitants, jusqu’à la manifestation visible de l’émotion du journaliste Walter Kronkite, qui ne peut empêcher sa voix de trembler – rupture du code qui témoigne de son caractère exceptionnel.

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L’association du direct et d’une large diffusion a favorisé le développement d’une véritable fonction sociale des médias de flux que sont la radio et de la télévision. On mésestime cette capacité du média à mettre en scène et à faire partager ce qui est désigné comme le lot commun. La rentrée des classes, les soldes, les embouteillages des départs en vacances ou l’arrivée de la neige font partie de ces événements qu’on appelle “marronniers”, et qui devraient plutôt être interprétés comme l’élévation au rang de rituel par la “messe” du 20h de ces régularités communautaires qui scandent la vie du plus grand nombre. Le rêve de la télévision est de faire vibrer tous ses spectateurs à l’unisson du même spectacle.

Communion hertzienne

Cette figure de la communion hertzienne n’avait pu s’accomplir dans l’épiphanie du direct que dans une poignée de situations soigneusement organisées : déclarations politiques, mariages royaux, rencontres sportives, sans oublier les premiers pas sur la Lune.

Construction événementielle en temps réel, le 11 septembre participe des rares occurrences qui surprennent le dispositif. Revoir les premières minutes de ce que personne ne sait encore être un attentat permet de comprendre la mise en place de ce mécanisme. Avant même son identification comme attaque terroriste ou son attribution à Ben Laden, la collision d’un avion avec le plus célèbre immeuble de Manhattan est déjà perçue comme un “désastre” et située à un degré élevé dans la hiérarchie de l’information – assez pour mobiliser ses formes de présentation les plus dramatiques. La suspension des programmes par le système des Breaking News, le bandeau de qualification et le commentaire live, qui partage la recherche d’informations en aménageant l’attente de leur confirmation, sont les codes qui ont pour fonction de mettre en scène la confrontation directe avec l’événement.

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Il faut un haut niveau de technicité et de professionalisme pour conférer une forme cohérente à cette improvisation en temps réel, qui donne à chaque téléspectateur l’impression de partager l’événement au moment même où il se produit, comme s’il était assis dans le fauteuil du présentateur. Tout ce qui va arriver ensuite – encastrement du deuxième avion, saut dans le vide des victimes, effondrement des tours – était bel et bien imprévu : le scénario rêvé d’un crescendo évenementiel devant les caméras va s’accomplir comme un cauchemar.

Autant qu’au piège de feu des tours jumelles, l’Occident a été pris au piège de sa machine médiatique. Impeccablement huilé, le dispositif qui attendait de longue date de croquer le fait divers s’est fait happer par le 11 septembre. Brèche béante dans le temps télévisuel, la Breaking News ne s’arrêtera plus, s’étirant sur plus de 24 heures, rediffusant sans trève, comme le but d’un match de foot, au ralenti, en gros plan, les scènes les plus spectaculaires de la catastrophe, enfonçant pour toujours dans notre imaginaire ces minutes insoutenables.

Autant que les morts, les blessés, les tours effondrées, le spectacle du 11 septembre a participé du traumatisme infligé aux Etats-Unis. Au moment où l’Occident s’apprête à déclencher une nouvelle fois le Replay de la catastrophe, il est utile de se souvenir que cette blessure n’a pas été infligée par un membre d’Al Quaida, mais par notre propre dispositif journalistique.


Article initialement publié sous le titre “Replay 9/11″ sur L’Atelier des icônes

Crédits photo Flickr CC : by Robert Couse-Baker

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http://owni.fr/2011/09/07/loeuvre-mediatique-du-11-septembre/feed/ 10
Les zolis dessins de Kim Jong-Il http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/ http://owni.fr/2011/08/27/dessins-animes-coree-nord-propagande/#comments Sat, 27 Aug 2011 13:30:34 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=77140 Traîtres à la tête enflée”, “chiens enragés”, “vile lie humaine”… Dans un récent article, le New York Times se penchait sur le langage peu châtié de KCNA, l’agence officielle de la Corée du Nord, dans ses communiqués au reste du monde.

En réalité, le régime de Pyongyang veille à imposer un lexique belliqueux à l’ensemble de la population. En témoignent les dessins animés officiels à destination des enfants. Petits bijoux de propagande brut de décoffrage, ces films d’animation justifient cinquante ans d’une autarcie organisée entre paranoïa et agressivité, abnégation guerrière et militarisme. Ou, pour reprendre KCNA:

[Les dessins animés] sont faits pour implanter dans l’esprit des enfants un patriotisme brûlant et canaliser la haine envers l’ennemi

L’ennemi tu combattras

Exemple: dans la clairière d’un bois, un ours brun esquisse quelques pas de danse classique coréenne. Au gré d’innocents chœurs enfantins, il pousse la chansonnette devant une bande d’écureuils admiratifs :

Quelle que soit la manière, j’utiliserai ma force

Jusqu’à ce que l’ennemi ne soit plus que poussière dans le vent

Faites-les sauter, faites-les sauter

Bienvenue dans la série “L’écureuil et le hérisson”. Le village des écureuils est sous la menace d’une armée de belettes féroces. Heureusement, le grand ours de la colline veille au grain pour protéger les vulnérables créatures. Mais, usant de la ruse, les ennemis parviennent à soûler l’ursidé et mettent les cabanes à feu et à sang. Seul un écureuil parvient à échapper à la rafle et court rejoindre ses amis hérissons à l’organisation martiale, rompus au combat. La grande guerre de reconquête peut alors commencer…

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En Corée du Nord, les films d’animation servent un même objectif. Comme l’explique à OWNI la chercheuse Dafna Zur, spécialiste des éditions nord-coréennes pour les enfants, la représentation du combat contre un agresseur est essentielle:

La Corée du Nord a toujours fait face à de vrais défis économiques. Le rôle de la propagande est, notamment, de parvenir à mobiliser les Nord-Coréens en attisant une grande aversion de l’ennemi, quel qu’il soit.

Portraiturer l’ennemi sous des traits animaliers est une vieille tradition en Corée du Nord, remarque la chercheuse à l’université Keimyung (Corée du Sud). Dans les années 1950 déjà, Adong Munhak, le grand magazine pour enfants de l’époque, contenait inévitablement une parabole animalière sous forme de bande dessinée. Et les canons du genre n’ont guère évolué en l’espace de quelques décennies. En guise d’innocents Nord-Coréens, les animaux purs et intelligents de la forêt: le lion, l’ours, l’écureuil, le hérisson (véritable mascotte nationale)… À l’ennemi, la figure d’un animal sournois et détesté: la belette, le chacal… (faisant également référence aux surnoms donnés aux Américains).

La violence tu aduleras

Le “canon-crayon” est un grand classique qui tourne sur Internet depuis quelques années. Un garçon nord-coréen est assis à sa table de travail, à plancher sur son devoir de géométrie. Tombant de sommeil, il se laisse emporter dans un rêve.

Catastrophe, les tanks américains arrivent par la mer. Heureusement le héros et ses petits amis ont revêtu l’uniforme militaire et courent défendre les rivages du valeureux pays. Les engins américains (nez crochu, yeux vicieux) avancent, avancent. Le petit écolier et ses crayons-missiles sont le dernier espoir de la nation… “Tire, tire !” lui hurle un espèce de petit tyran. De guerre lasse: les projectiles ratent leur cible. Et l’ennemi qui approche…il sera bientôt là…il arrive…

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Depuis la guerre de Corée (1950-1953), note Dafna Zur, l’une des principales caractéristiques des images à destination des enfants (affiches, bande dessinées ou films d’animation) est de jouer sur la synergie de la candeur et de la violence. L’enfant est représenté comme une figure éternellement innocente. Dans le “canon-crayon”, le héros est ainsi représenté sous les traits d’un petit garçon au teint diaphane, les traits purs et doux, sans la moindre ombre sur le visage, les cils recourbés…. Dénué d’humanité, l’enfant atteint le statut de symbole.

Et pourtant cette figure canonique se lance sans hésitation aucune dans la guerre (en l’occurrence bombarder les Américains de crayons-missiles). La violence ainsi esthétisée est présentée comme le simple jeu d’un enfant, un jeu naturel et désirable. Mais les dessins animés ne possèdent toutefois pas la crudité des bandes dessinées, où l’on voit les peaux déchirées, les corps déchiquetés, les armes ensanglantés. Si la violence est moins présente à l’écran, elle n’en est pas moins suggérée à tout bout de champ: uniformes, injonctions martiales, musique militaire récurrente… L’expérience semble même carthartique: en s’affrontant à un ennemi déshumanisé (belette, tank…), l’individu s’accomplit lui-même, il semble passer une étape salvatrice. Influencée par l’esthétique du Japon militarisé des années 1930, alors puissance colonisatrice de la Corée, cette apologie de la mort et de la violence joue sur son pouvoir mobilisateur, comme le remarque Dafna Zur:

La glorification de la violence est partie intégrante de l’identité nord-coréenne. Il y a quelque chose d’excitant dans la violence, dans le défi de l’ennemi. La brutalité est une émotion viscérale, une émotion forte qui unit le peuple

Pour la nation tu te sacrifieras

Pourquoi les écureuils ont-ils été défaits par les belettes ? Car ils n’étaient pas organisés militairement, trop confiants dans la protection du seul ours.

Pourquoi l’écolier n’arrive-t-il pas à repousser l’invasion des tanks américains? Car, n’ayant pas fait son devoir de géométrie, il se trompe dans l’angle du lancement de ses missiles

Dans chaque cas, la nation (ou sa représentation narrative) est mise en danger en raison d’une erreur. Le moindre faux pas d’un individu risque de compromettre la communauté toute entière. La morale est intangible : “sois irréprochable pour pouvoir défendre ton peuple”. Dans “L’écureuil et le hérisson”, tous les animaux s’allient ainsi ensemble pour créer une armée organisée et aller battre les belettes. Dans le “canon-crayon”, l’écolier se réveille en sursaut et retourne à son devoir de géométrie avant d’aller professer de lénifiantes leçons à ses camarades sur l’importance de l’apprentissage.

Parfois, la nation requiert même un véritable sacrifice. Un autre dessin animé, datant de 1993, met ainsi en scène un couple de jeunes épis de maïs assistant, héberlué, au combat héroïque d’un régiment de patates. À peine les nouvelles cultures mises en terre, voilà que des bactéries s’apprêtent à venir les dévorer. Heureusement, l’armée (de pommes de terre) est là pour défendre les futures récoltes. S’engage alors une lutte drolatique entre bactéries et patates, le tout sous le regard effrayé des deux épis de maïs. L’issue est favorable: les pommes de terre sortent victorieuses. À peine couronné de son succès, le régiment se jette dans une machine agricole pour en ressortir sous forme de paquets de chips ou de purée. Pour nourrir la nation, comprenez. Une nouvelle génération de pommes de terre, encore plus nombreuse, voit alors le jour grâce à l’abnégation de ses aînés.

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Contrairement aux autres dessins animés, celui-ci ne donne pas (trop) dans la métaphore guerrière. L’accent est plutôt mis sur les sacrifices auxquels chaque individu doit consentir pour que la nation puisse connaître des lendemains ensoleillés où la nourriture foisonnera. Un message bien senti pour un film d’animation sorti au beau milieu des grandes famines des années 1990…

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[Infographie] Tu te fais des films! http://owni.fr/2011/08/12/film-canal-plus-action-porno-sexe-animation-horreur/ http://owni.fr/2011/08/12/film-canal-plus-action-porno-sexe-animation-horreur/#comments Fri, 12 Aug 2011 18:26:33 +0000 la redaction http://owni.fr/?p=76087 Au mois d’avril dernier, Canal Plus, sous sa casquette de studio cinéma,  livrait ses meilleures recettes pour réaliser des films… et ce quelque soit leur orientation. Animation, action, horreur et même porno, le groupe, pas farouche pour un sou, vous montre le chemin à suivre pour que vos meilleures productions atterrissent dans les salles obscures ! Mais attention, la route est semée d’embuches…

Des infographies drôles et pas idiotes réalisées par Les Graphiquants,  qu’OWNI a enrichi pour vous avec des bandes annonces, des making-of… et quelques bêtises. Une pépite retrouvée par Korben.


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L’armée pakistanaise se paye sa série télé http://owni.fr/2011/07/22/larmee-pakistanaise-se-paye-sa-serie-tele/ http://owni.fr/2011/07/22/larmee-pakistanaise-se-paye-sa-serie-tele/#comments Fri, 22 Jul 2011 09:59:39 +0000 Alexandre Marchand http://owni.fr/?p=74463 Ralenti. Trois hommes en tenue d’aviateurs. Ils avancent sur le tarmac. Démarche grave. Mine sérieuse. Ray-Bans noires. Gants blancs. Armes apprêtées. Riffs acérés. Batterie énervée.

Non, vous ne regardez pas une rediffusion de Top Gun : vous êtes devant “Faseel-e-Jaan Se Aagay” (“Au-delà de l’appel du devoir”), la nouvelle série de l’armée pakistanaise ! Estampillé “histoire vraie”, le show décrit le combat (héroïque, bien sûr) des soldats contre les Talibans dans la vallée de Swat en 2009. Une saga qui fleure bon le nationalisme et le mélo. ““Esprits invincibles, âmes immortelles” proclame le sous-titre en toute humilité. Lancé en janvier, le feuilleton compte onze épisodes, divisés en deux “saisons”. PTV, la télévision d’État, en diffuse le deuxième volet depuis la mi-juin.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

De l’héroïsme bon marché

L’armée définit la trame de la série : le combat des soldats pakistanais, bravoure et idéaux en bandoulière, face aux Talibans autour de la ville de Mingora. Les militaires ont engagé une boîte de production pour réaliser les différents épisodes, tout en contrôlant strictement les scénarios et en se réservant le final cut.

Pas d’histoire linéaire au fil de la série, pas d’éternel héros invincible aux dents blanches, chaque épisode se concentre sur un nouveau fait d’armes glorieux. Que des évènements réels, paraît-il. Le premier épisode de la saison 2  met ainsi en scène deux soldats pakistanais s’emparant, en dépit des ordres, d’un canon anti-aérien détenu par les Talibans pour venger un de leurs camarades tombé au combat. “Une opération inouïe” s’enflamme le résumé rédigé par l’armée pakistanaise sur son compte Youtube. Tout d’abord réprimandés, les deux hommes se voient au final récompensés par un dîner en compagnie de leur commandant.

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Propagande certes mais propagande à peu de frais. Chaque plan respire le manque de moyens. À peine 12.000$ de budget par épisode. Du coup on rogne où l’on peut : le casting par exemple. Plutôt que d’embaucher des comédiens, l’armée mobilise ses propres soldats. Nos deux héros précédemment cités sont par exemple joués… ô surprise… par eux-mêmes!

Je suis un soldat de cœur et d’esprit. J’ai seulement accepté de jouer ce rôle pour rendre hommage à mes confrères aviateurs et soldats

explique le major Zahid Bari, un de ces deux pilotes, interrogé par le Wall Street Journal.

Réhabiliter l’image de l’armée

C’est dans une grande opération de relations publiques que l’armée pakistanaise, véritable État dans l’État, a investi avec cette série. En diffusant son programme sur PTV, elle vise explicitement la masse de la population rurale, à peu près certaine d’obtenir ainsi des jolis chiffres d’audience. Malgré tout, l’enthousiasme est à pondérer.

Personne dans les grandes villes ne regarde PTV, ils ont beaucoup mieux avec les chaînes satellitaires. Il faut bien le dire : la télévision publique, c’est vraiment ennuyeux. Il n’y a que dans les campagnes que les gens regardent ça, ils n’ont juste rien d’autre.

confie Mariam Abou Zahab, spécialiste du Pakistan et de l’Afghanistan.

En regardant “Faseel-e-Jaan Se Aagay” et ses héros débordant de bons sentiments, de courage, d’intégrité, de patriotisme, de dévouement, de droiture, le spectateur crédule en oublierait presque à qui il a à faire. Et s’il conserve encore des doutes, la page Facebook du show intitulée “PakArmyZindabad” (“Vive l’armée pakistanaise”) devrait achever le bourrage de crâne…

La gentille armée contre les méchants Talibans

Dans le merveilleux monde manichéen de “Faseel-e-Jaan Se Aagay”, les “gentils soldats” sont opposés aux (très) “méchants islamistes”. Car le soap se veut bien une justification en prime time du retournement stratégique opéré par l’État pakistanais en l’espace de quelques années.

L’attitude du Pakistan envers les islamistes a toujours été teintée d’ambigüité. Malgré les troubles apportés par ces mouvements, certains s’avèrent bien utiles pour nuire à l’Inde, éternel ennemi,  très supérieur en termes démographiques et militaires. Les spectaculaires attentats de Bombay de 2009 avaient, par exemple, été perpétrés par un réseau basé sur le sol pakistanais, Lashkar-e-Taiba.

Mais la stratégie trouve ses limites lorsque ces militants se retournent contre l’État pakistanais et commettent des attentats sur le territoire national. Pressé par les États-Unis engagés dans leur “guerre contre la terreur”, le Pakistan s’est donc retourné contre certains mouvements en provenance de l’Afghanistan en lançant des opérations militaires au sein de la zone frontalière à partir de 2004.

Restait à justifier auprès de la population cette guerre souvent ressentie comme un conflit mené pour les bonnes faveurs des États-Unis. En transposant la victoire de Swat (considérée comme un tournant de la guerre) sur le petit écran, les militaires apportent leur part à cette campagne de communication. Profitant donc de l’occasion pour se payer une belle publicité cathodique.

À sa décharge, le Pakistan n’a pas la primeur des séries télés chantant les louanges de l’armée. Il y va juste avec la finesse d’un char d’assaut.

Illustrations: Affiches promotionnelles de la série

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Vendredi c’est graphism S02E22! http://owni.fr/2011/06/10/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s02e22/ http://owni.fr/2011/06/10/vendredi-c%e2%80%99est-graphism-s02e22/#comments Fri, 10 Jun 2011 06:30:32 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=67033

Bonjour à toutes et tous !

Cette semaine, on fête le retour de Vendredi c’est Graphism! N’étant pas en France la semaine dernière, j’en ai profité pour faire le plein d’actualités pour cette semaine. Au programme, des actualités artistiques, graphiques, animées, photographiques… bref, accrochez-vous ! Je vous présente d’abord un petit site réalisé par mes soins sur les “Secrets de Graphistes”. Nous allons ensuite regarder les publicités pour La Poste dessinées par Lewis Trondheim ou encore un projet photo très fatigué ! Je vous présenterai également un travail d’animation tout en papier, et un hacking de télévision plutôt intéressant. Et nous finirons sur une vidéo du Festival de Comics de Toronto ainsi que sur un WTF très ralenti… ;-)

Bon vendredi et… bon graphism !

Geoffrey

On commence donc notre revue de la semaine sur un petit projet qui pose la question des “Secrets de graphistes” . En effet, nous avons toutes nos petites recettes honteuses comme imprimer des images en 72 dpi, confondre du Helvetica et de l’Arial, coder des sites en ActionScript1 et j’en connais même qui utilisent une vraie règle pour mesurer leur travail à l’écran ! J’en passe donc et des meilleures…

Ainsi, pour partager ces petites plaisanteries et ces petits secrets, en trois jours et avec mon ami Avétis (qui cherche par ailleurs un contrat en alternance en tant que designer web et multimédia), j’ai réalisé ce petit site mobile (pour iPhone ou Android), intitulé Secrets de graphistes. Le site se veut sans prétention et restera simple comme il est aujourd’hui

Donc, n’hésitez pas, attrapez votre téléphone mobile et rendez-vous sur http://secrets.graphism.fr pour lire et partager tous vos secrets de graphistes !

PHONE1 Partagez vos secrets de graphistes sur http://secrets.graphism.fr !

PHONE2 Partagez vos secrets de graphistes sur http://secrets.graphism.fr !

secxrrets Partagez vos secrets de graphistes sur http://secrets.graphism.fr !

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Cette semaine, je suis tombé sur les dernières publicités de La Poste talentueusement dessinées par l’illustre Lewis Trondheim. Le dessinateur, qui avait réalisé des affiches pour La Poste en début d’année, continue sur sa lancée avec des spots publicitaires sur lesquels, apparemment, il semble avoir plutôt les mains libres. Ses dessins, toujours très bien exécutés sont animés par Jean-Matthieu Tanguy et le résultat est au rendez-vous.

L’idée de faire une publicité dessinée par un grand illustrateur est tout de même pas mal pour La Poste et ça nous change du paysage visuel souvent très difficile dans nos chers bureaux postaux.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Cette semaine j’ai également découvert un projet photographique incroyable réalisé par Meredith Andrews de Malmö, en Suède. Cette jeune femme s’est posé la question du portrait et du réveil et a ainsi réalisé une série de clichés chez des familles, des amis, des amis d’amis pour au final avoir leur “vrai visage” au réveil. Un fabuleux travail qu’elle a nommé ainsi : “SLEEP / WAKE”.

source | source

Toujours dans les actualités, voici une vidéo en stop motion du travail de Bianca Chang. Cette charmante artiste freelance a conçu cette vidéo pour le tout dernier “A4 Paper Festival”… autrement dit, le festival de la feuille au format A4 à Sydney, Australie. Inspirée par la subtilité du ton sur ton et le théâtre d’ombres elle a puisé également son talent dans sa patience pour un résultat impressionnant. Pour information, Bianca Chang utilise des feuilles de 80g/m² mais en… papier 100% recyclé ! De quoi créer encore pendant longtemps ! :-)

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Toujours dans l’actualité, voici le hacking de la semaine ! Vous ai-je déjà parlé du TV-B-Gone ? Il s’agit d’un petit appareil qui s’apparente à une télécommande et qui permet d’éteindre toutes les télévisions et les écrans (voir cet exemple). Cependant, chaque fois que vous amenez votre TV-B-Gone au restaurant pour éteindre les télés nuisibles, vous regardez autour de vous avec un air suspect. Heureusement, mon héroïne du DIY, j’ai nommé Becky Stern a trouvé une solution silencieuse et discrète pour éteindre les télévisions. Elle a ainsi cousu un circuit très simple avec du fil conducteur sur sa veste. Elle peut ainsi, en zippant ou dé-zippant sa fermeture éclair, éteindre la télévision. Quoi de plus simple ?

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On continue notre revue de la semaine avec une courte mais passionnante vidéo réalisée pour le Festival de Comics de Toronto. Chaque dessinateur ou écrivain y parle de ses outils de prédilection. Le “Toronto Comic Arts Festival” existe depuis déjà plusieurs années et son but est de pour promouvoir l’étendue et la diversité de la bande dessinée ainsi que sa valeur littéraire et artistique. Cette vidéo est donc un bel hommage et une rencontre avec des stars de la bande-dessinée.

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On avance avec le travail d’Élise Gay et de Kévin Donnot, deux étudiants des Beaux-Arts de Rennes qui ont réalisé le site “Particip-a-type”, un site participatif  qui permet de créer, ensemble, une typographie en ligne. Belle idée, utopique et expérimentale s’il en est. Le fonctionnement est simple, chaque nouvel utilisateur est invité à modifier le dessin du caractère créé par l’utilisateur précédent, et le suivant fera ensuite la même chose. L’évolution est donc impressionnante, surtout qu’il est possible de télécharger à chaque fois la police de caractère réalisé au format Opentype pour être utilisée… en vrai !

Le site

Le site

Le WTF de cette semaine m’a fait un peu peur, je vous l’avoue ! Il s’agit d’une publicité pour un mixeur pour bébé.. mais qui a été détournée et ralentie pour la transformer avec une ambiance sombre et inquiétante… bouh !

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Pour le petit mot de la fin je voulais vous remercier tous et également Tania pour le WTF qu’elle m’a envoyé ! De même, si vous l’avez raté, précipitez-vous sur cet excellent article d’Owni sur les affiches de la Révolution Espagnole! Pour finir, je vous invite également à réserver votre 24 juin 2011 pour cette conférence sur la recherche en design à l’Ensad de Paris.

Bon week-end :-)

Geoffrey

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Chili: les 33 mineurs oubliés de l’Atacama http://owni.fr/2011/05/20/chili-les-33-mineurs-oublies-de-latacama/ http://owni.fr/2011/05/20/chili-les-33-mineurs-oublies-de-latacama/#comments Fri, 20 May 2011 06:31:41 +0000 Anaëlle Verzaux http://owni.fr/?p=62868 L’hiver arrive au Chili. Mais au nord, le soleil ne plie pas.

Nous survolons le désert d’Atacama, grand comme un tiers de la France, dans le nord du Chili.

Les montagnes cuivrées sont, sur certains sommets, tachées de poudre blanche. De loin, elles font penser à de la neige. Ce sont en fait les traces du nitrate et du salpêtre jadis extraits de cette riche étendue, vaste réserve d’or et de cuivre. Les tapis de fleurs roses et charnues d’octobre ont disparu. L’Atacama est un des déserts les plus arides au monde, cette floraison, exceptionnelle, n’a lieu qu’une fois tous les dix ans.

En plein coeur du désert, on s’arrête à Copiapo. Une ville de 130 000 habitants, discrète et sans grand intérêt touristique, une fois qu’on a fait le tour de la Plaza Prat. La place centrale est bordée de bancs, jardins et cafés, où s’échangent des rumeurs les plus folles.

C’est dans cette ville minière qu’habitent la plupart des trente-trois mineurs qui, le 5 août 2010, avaient été pris au piège à 700 mètres au fond d’une mine d’or et de cuivre, à cinquante kilomètres de Copiapo. L’histoire des « 33 » de la mine San José, qui ont réussi à survivre dix semaines dans cette prison souterraine, avait pris des allures de télé réalité.

Depuis longtemps le Chili n’avait suscité un tel intérêt.

La libération, sous l’oeil d’un milliard de téléspectateurs

Le monde redécouvrait ce pays tout en longueur, le plus grand producteur de cuivre au monde (près de 70 millions de dollars de cuivre exportés chaque jour), dont on ne parlait guère depuis l’arrestation, à Londres, du général-dictateur Augusto Pinochet, en 1998.

Le président de centre-droit Sebastian Pinera, une sorte de Berlusconi sud-américain en moins exalté, s’était emparé du drame. Une occasion formidable, alors que sa cote de popularité baissait, de se construire une nouvelle image. Celle du bon samaritain proche du peuple.

Au mois d’octobre 2010, les hôtels de Copiapo étaient pleins à craquer. Plus de deux mille journalistes avaient été accrédités. Des dizaines de milliers d’articles, d’autres milliers de journaux télévisés réalisés dans le monde entier. Comme le relève le journaliste Jonathan Franklin :

Deux mois après l’éboulement catastrophique, le nombre de visites sur Google pour « Chiliens » et « mineurs » atteint les 21 millions.

Les abords de la mine s’étaient transformés en gigantesque salle de presse à ciel ouvert.

Le camp bariolé à la surface de la mine, où patientaient familles et journalistes, avait été rebaptisé le « camp de l’Espoir ». Drapeaux, ballons, guirlandes, ex-voto, caméras, tentes, enfants, mineurs, cheval, gardes civiles, camions, antennes, clowns, soleil, poussière, et en-dessous, les 33 mineurs dans la nuit de la terre. L’oeil du monde scrutait chaque nouvelle venue des profondeurs.

Le 12 octobre, enfin, sous les yeux de plus d’un milliard de téléspectateurs, les mineurs étaient extraits de l’enfer, un à un, à bord d’une étroite capsule, baptisée « Phénix ». Puis ce fut la gloire, les feux des projecteurs, les interviews rémunérées, les voyages organisés. Six mois ont passé, la vague médiatique est retombée. Mais que sont devenus les 33 mineurs chiliens? Et les 300 autres mineurs de San José?

La tournée mondiale d’Edison, fan d’Elvis

Lorsque nous arrivons à Copiapo, mi-avril 2011, le barnum est parti. Plus un journaliste à l’horizon. Seul un confrère chilien continue de suivre les pérégrinations des 33.

Dix heures du matin, le soleil déjà, envahit le bitume. Nous marchons vers le centre-ville. Mais sur la route, une inscription taguée sur le mur d’une maison bleue azure nous arrête.

Fuerza Edison, tu familia de espera, arriba los mineros

(« Courage Edison, ta famille t’attend, vive les mineurs »)

C’est la maison d’Edison Pena ! Edison est une des figures des 33 : fan d’Elvis Presley, il avait aussi parcouru le marathon de New-York, quelques semaines après sa sortie de terre.

La maison d'Edison Pena, le mineur marathonien

En short et baskets, les cheveux taillés en hérisson, Edison ouvre la porte. « Entrez, c’est par là ! » Il semble surexcité. Il a toujours été un peu fou. On entre dans une cour à peine aménagée. Une table, des chaises, et un banc dans un coin. « Asseyez-vous là ! Vous voulez boire quelque chose ? Une bière ? » Edison s’en va, et réapparaît quelques secondes plus tard, une Corona à la main. Les mains et les jambes tremblantes, raconte une « histoire de dingue » : son dernier voyage, au Japon. « C’était drôle, personne ne parlait espagnol, il n’y avait pas d’interprète ! Je ne comprenais rien ! ». Ses genoux s’entrechoquent sans arrêt. Edison se lève subitement, et se lance dans un exercice de mime, en riant.

La première fois que je suis allé aux toilettes, j’ai cherché le papier pendant des heures ! Vous vous rendez compte, ils n’ont pas de papier ! Il y avait des tas de boutons partout… j’ai appuyé sur tous les boutons en même temps, et je me suis pris plein de jets d’eau sur les fesses !

A nouveau, Edison s’en va. Il réapparaît cette fois avec une paire de chaussons en tissu bleu. Il rit encore. « Ils portent ça les Japonais ! » Et il enfile ses drôles de chaussures neuves. « Allez, on y va ! » Edison veut aller en banlieue de Copiapo, dans une cabane en bois où des amis à lui jouent aux cartes et boient des bières. Il veut qu’on le filme là-bas, en train de raconter ses deux mois d’enfermement dans la mine San José. « Avec ce film, je serais riche ! »

A ce moment là, Angelica, sa femme, arrive. La jolie brune de quarante printemps, nous salue, souriante, mais aussi inquiète. « Il est hors de question que tu ailles là-bas sans moi! ». Le couple se chamaille quelques minutes, puis Angelica soupire, se sert un coca-cola, et raconte l’horreur que furent les voyages organisés. Le Japon, l’Angleterre, Israël, les Etats-unis.

J’ai accompagné Edison quasiment partout, on m’a complètement méprisée. Ce que j’ai vécu, l’enfer d’attendre dans l’incertitude si mon mari était vivant, puis les deux mois d’angoisse passés sur le « camp de l’Espoir » avec les autres familles… tout ça, à l’étranger, les journalistes s’en fichaient ! La seule chose qui les intéressait, c’était de décrocher des interviews des 33.

Courage Edison, ta famille t

Mais ces voyages n’ont-ils pas été une parenthèse de rêve, avec rémunération à la clef ? Mario Gomez, le plus âgé des 33, fait le même constat qu’Angelica:

J’ai très peu voyagé : pendant plusieurs mois, mon passeport n’était pas à jour ! Cela dit, dès que j’ai pu, je suis parti. Mais ces voyages orchestrés par le gouvernement ne nous ont pas rapporté un kopeck. Les quatre mineurs partis en Chine, en novembre, ont bien été payés : 20 000 dollars par personne. Mais c’était l’argent des entreprises minières chinoises, dont ils venaient faire la promotion ! Notre dernière virée, aux Etats-unis, était humiliante. Nous n’avions pas d’argent, mais des bons quotidiens équivalent à 20 dollars par jour. On nous servait des sandwichs qu’on mangeait recroquevillés sur des tables basses. Nous n’étions plus les héros de San José, mais des ouvriers en vacances organisées chez les yankees.

Le regard subitement vide, Mario répètera trois fois : « C’était une humiliation ».

« Il va très mal, il se drogue »

Retour chez Edison. On entend des enfants jouer dans la maison. Une petite fille s’avance doucement. Najita a quatre ans, elle s’agrippe à la robe de sa mère. Angelica lui caresse le visage, puis annonce, le regard perdu : « C’est Dieu qui a voulu qu’ils continuent à vivre ». Et Edison s’en va.

Subitement, Angelica se redresse sur son siège. « Il va très mal. Je vis un enfer depuis qu’il est sorti de la mine. Il passe son temps à boire avec copains. Le pire, c’est quand il part à Santiago, il paie des tournées générales. Regardez-moi ces factures ! » Elle déroule une série de tickets. 200 000 pesos, 400 000, encore 200 000…

Et il se drogue. Déjà en soi c’est très mauvais, mais en plus, il est sous médicaments, à cause de ses troubles psychologiques.

D’après plusieurs mineurs, Edison se droguait déjà avant l’accident.

Le pire, c’est qu’il est imprévisible. Parfois, Edison part sans me prévenir. Il peut se passer plusieurs jours sans que je sache où il est.

Le lendemain, on devait se revoir pour le tournage. Mais Edison est furieux. Il vient de se disputer avec Angelica. « Elle est insupportable, elle ne me fait aucune confiance ! Et en plus elle boit ! Il y a du rhum dans ses verres de Coca-cola ». Le film-fortune, ce sera pour une autre fois.

La plupart des 33 ont les mêmes troubles qu’Edison. Déprime, besoin de solitude, alcool, difficulté à trouver le sommeil.

Victor Zamora, 35 ans, le poète du groupe, a mis longtemps avant d’accepter les baisers de ses enfants et les caresses de sa femme. « J’avais un besoin énorme de solitude, je ne supportais plus qu’on me touche ». Il a du mal à occuper son temps libre : « Je m’ennuie… heureusement, il y a ma fille qui me distrait ! Elle est enceinte ».

Samedi soir, José Ojeda, 46 ans, un gaillard de petite taille, d’une gentillesse singulière, est resté chez lui avec sa nièce. Comme la moitié des 33, il est toujours sous ordonnance médicale. José regarde la télévision en buvant des bières.

Ma femme n’est pas là, elle s’est réfugiée chez ses parents pour quelque temps. Ce n’est pas facile pour elle, ça fait six mois que je dors dans le salon, sur le carrelage. Le lit, je ne peux plus ! Je ne dors que trois-quatre heures par nuit. Pour me calmer, je bouffe des tablettes entières de comprimés tous les jours, et je bois des bières. Parfois, je ne mange pas pendant trois jours.

José se met à pleurer. « Ca fait six mois, mais je n’arrive pas à m’en sortir. Pourtant, je vois un psychologue trois fois par semaine ».

Il se reprend rapidement. « Pardonnez-moi ! Un mineur, ça ne pleure pas ! ».

Photo Anaëlle Verzaux et CC Secretaria de Communicaciones.

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