Sous le vernis,|| la diffamation ?

Le 26 mai 2010

Le site américain Unvarnished -"ôter le vernis"-, permet de créer le profil d'une personne et d'y laisser des jugements à son propos. Si ces commentaires sont négatifs, s'agit-il d'une opinion ou d'un propos diffamatoire ?

Un site américain, Unvarnished.com, lancé en mars dernier en version bêta, permet à ses utilisateurs de créer un profil au nom d’une tierce personne, et d’offrir ensuite une appréciation, positive ou négative, des qualités professionnelles de celle-ci tout en demeurant anonyme. On peut ainsi « ôter le vernis » de l’individu de notre choix (« unvarnish »).

Ce site a été décrit comme un Yelp pour les individus. Le site américain Yelp, qui permet à tout un chacun de donner une note à des commerces, en particulier des restaurants, et de publier ses commentaires sur la qualité de leurs services, vient d’ailleurs de lancer son site français.

Cette analogie entre Unvarnished et Yelp est intéressante, car des goûts et des couleurs il ne faut pas disputer, et si je n’aime pas le filet de perdreaux aux artichauts braisés de Chez Dédé, et que je m’empresse de partager mon avis sur Yelp, je peux arguer que je ne publie là que ma (très subjective) opinion. Pour (in)intéressante qu’elle soit, j’ai le droit de la publier et de m’exprimer librement, même de manière anonyme. Est-ce à dire que je peux ensuite publier sur Unvarnished mon opinion sur le serveur de Chez Dédé ? (un véritable mufle !)

Au contraire de Facebook ou de LinkedIn, les internautes ne contrôlent pas complètement leur profil sur Unvarnished. Un tiers peut créer un profil à notre nom, sans notre accord, et les commentaires, positifs ou négatifs, demeurent publiés, que nous le voulions ou non. Unvarnished s’est décrit ainsi sur le site Twitter : « LinkedIn est ce que vous dites à propos de vous-même. Unvarnished est ce que le monde entier dit à votre propos. Comme votre réputation fonctionne, hors-ligne. »

Est-ce qu’un commentaire négatif sur Unvarnished est une simple opinion, ou un propos diffamatoire ?

Merveilleuse liberté d’expression et ses limites

Il y a des limites à la liberté totale d’expression.

En France, le droit à la liberté d’expression est protégé par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme, qui a valeur constitutionnelle en droit français, est similaire et prévoit également que le droit à la liberté d’expression puisse être restreint par la loi.

Le droit de la diffamation protège notre réputation

Le droit de la diffamation est d’une très grande importance sociale puisqu’il permet de protéger la réputation et l’honneur des personnes. En leur portant atteinte, on engage uniquement sa responsabilité civile aux États-Unis, mais on engage sa responsabilité pénale en France.

Selon l’article 29, alinéa 1 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, est diffamatoire « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ». Il existe deux moyens de défense : la bonne foi et l’exception de vérité.

La loi de 1881 a été remaniée plusieurs fois pour s’adapter aux nouveaux médias, entre autres par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique qui a introduit le droit de réponse en ligne.

Droit de réponse en ligne

Il existe un droit de réponse spécifique pour tous les services de communication en ligne. La demande de droit de réponse est adressée au directeur de la publication si l’auteur des propos diffamatoires est connu. Selon l’article 6 IV de la loi du 21 juin 2004, si la personne éditant à titre non professionnel a conservé l’anonymat « cette demande est adressée à l’hébergeur (…) qui la transmet sans délai au directeur de la publication, » et ce, sous 24 heures sous peine d’amende (décret du 24 octobre 2007).

Peut-on demeurer anonyme sur Internet ?

Demeurer anonyme est la norme sur Internet, et non l’exception. En effet, selon l’article L. 34-1 du Code des postes et des communications électroniques, « Les opérateurs de communications électroniques, et notamment les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne, effacent ou rendent anonyme toute donnée relative au trafic ».

Il existe deux exceptions à ce principe d’anonymat. Tout d’abord, les données peuvent être conservées à des fins de facturation, du moins jusqu’à la fin de la période au cours de laquelle la facture peut être légalement contestée. Ensuite, les opérateurs peuvent différer à rendre les données anonymes afin de permettre la poursuite d’infractions pénales, et ce pour une durée maximale d’un an. Cette exception s’étend également aux personnes offrant une communication en ligne au titre d’une activité professionnelle, qu’elle soit principale ou accessoire.

La diffamation est une infraction pénale, et l‘on peut ainsi obtenir de l’hébergeur l’identité de l’auteur des propos jugés diffamants. Encore faut-il le faire dans le délai très court de trois mois prévu par la loi du 29 juillet 1881. Ce délai commence à courir à compter du jour où le message diffamatoire a été rendu public. Il s’agit, pour les messages publiés sur Internet, de la date à laquelle le message a été mis pour la première fois à la disposition des utilisateurs du réseau.

C’est pourquoi il est judicieux de vérifier régulièrement les propos tenus sur nous sur Internet, en entrant notre nom sur un moteur de recherche, ce qui ne manquera pas, en outre, de chatouiller agréablement notre vanité.

Droit à l’oubli

Que faire si l’on a dépassé le délai de trois mois ?

On parle beaucoup de droit à l’oubli des deux côtés de l’Atlantique. Aux États-Unis, un projet de loi récemment déposé propose de mettre en place un système permettant aux particuliers de demander aux sites Internet d’effacer « promptement » leurs informations personnelles mises en ligne. Il ne s’agit pas, comme en droit de la diffamation, de demander à ce que soient effacées des informations négatives relatives à une personne, mais d’effacer des informations personnelles afin de les empêcher de perdurer sur Internet.

En France, une consultation publique sur le droit à l’oubli numérique est actuellement proposée en ligne, et une majorité des internautes se déclare favorable à la mise en place d’un droit à l’oubli numérique.

Le droit à l’oubli pourrait-il devenir un droit à la censure ?

Quelles peuvent être les raisons de se déclarer défavorable à ce droit à l’oubli ? S’il devenait obligation légale à ce que nos données personnelles soient effacées d’un site Internet à notre demande, cet article, signé de mon nom, donnée personnelle s’il en est, ne saurait rester en ligne que du fait de ma volonté, et non de celle des administrateurs du site. Il me suffirait alors de les contacter pour que cet article soit effacé.

L’auteur d’une Å“uvre jouit certes d’un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire (article 121-4 du Code de la propriété intellectuelle), mais il ne peut l’exercer qu’à charge d’indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir ou ce retrait peut lui causer. Plutôt que d’exercer ce droit, coûteux et qui peut être soumis au contrôle du juge, il suffirait aux auteurs d’invoquer leur droit à l’oubli.

De plus, les personnes citées dans l’article ou le commentaire pourraient exiger leur retrait, alors même qu’aucun propos diffamatoire n’ait été tenu à leur égard. Au contraire du droit de la diffamation, pouvoir prouver la véracité de l’information publiée, ou la bonne foi de son auteur, ne permettrait pas d’en empêcher le retrait.

Difficile choix

Qui l’emportera, notre attachement à la liberté d’expression, ou bien notre désir légitime de conserver sans tache notre e-réputation ? Quels commentaires à notre propos choisirons-nous de supprimer ? Notre choix dépendra sans doute du degré de virulence des attaques : être critiqué parce que nous faisons le pire café de tout le bureau est moins outrageant que de voir mis en question son honnêteté.

Images CC Flickr Hekate-moon et Anonymous9000

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