Wikileaks: renaissance du journalisme ou imposture médiatique?

Le 21 octobre 2010

WikiLeaks est désormais une figure de proue du journalisme "chien de garde" sur Internet. Pour autant, l'organisation représentée par Julian Assange est-elle vraiment la panacée ? Retour sur les succès et les limites de cette initiative.

Pour les assoiffés d’investigation journalistique, Wikileaks est le canal médiatique hype du moment. Depuis quelques semaines, le site d’information participatif est sous les feux des projecteurs pour avoir balancé sur la place publique plus de 90 000 documents internes sur les opérations de l’armée américaine en Afghanistan. Cautionné et repris en exclusivité par un trio de médias chevronnés et renommés (The Guardian, Der Spiegel et The New York Times, excusez du peu !), Wikileaks a soudainement gagné ses galons de journaliste enquêteur là où il apparaissait jusqu’à présent comme un ovni éditorial faisant certes bouger les lignes de l’information mais aux intentions parfois difficiles à cerner.

Fondé en décembre 2006 par Julian Assange, ce site entend révéler au public des vérités sensibles ou estampillées « confidentiel défense » qu’institutions, entreprises et médias classiques s’échineraient à bâillonner. Avec le récent coup d’éclat des « warlogs » américains sur l’Afghanistan, le démiurge de Wikileaks joue maintenant dans la cour éditoriale des grands. A tel point qu’il est célébré par d’aucuns comme le nouveau héraut de la démocratie et de la transparence totale. Mi-août, il fut ainsi invité à s’exprimer sur le reportage d’investigation devant les étudiants de la prestigieuse école de journalisme de l’université de Berkeley en Californie. Autre signe d’adoubement institutionnel : Julian Assange écrit des tribunes éditoriales pour le quotidien suédois Aftonbladet. Enfin, il reçu de la branche britannique d’Amnesty International, le Prix des Médias pour saluer son œuvre de défense des droits de l’Homme.

Julian Assange est désormais le tribun qu’on s’arrache pour parler journalisme, investigation et censure dans les colloques les plus prestigieux ou celui qu’on cite volontiers pour parler de liberté de l’information. Cet engouement pour ce justicier épris de transparence suscite pourtant quelques questions épineuses et non des moindres. N’est-on pas au final en train de propulser un peu vite l’énigmatique Julian Assange en preux chevalier des temps éditoriaux ou nouvel Albert Londres des réseaux numériques ?

Un personnage digne des thrillers américains

Australien de 39 ans, Julian Assange est un pur autodidacte qui a traîné ses guêtres très jeune dans le monde entier où il a accompagné sa mère dans ses périples mi-artistiques, mi-mystiques « New Age » et où il aura fréquenté « 37 écoles et 6 universités » au total.1 Pour mieux se figurer la personnalité ésotérique de l’homme, on peut lire les exhaustifs portraits publiés dans The New Yorker en juin 2010 et Le Monde en août 2010.

Ce parcours hors normes trouve naturellement son prolongement dans le profil que Julian Assange se plait à lui-même cultiver. Sa biographie demeure nimbée d’un halo de mystère qui sied à dessein au fondateur de Wikileaks. Sans résidence officielle, l’ex-étudiant en mathématiques et physique de l’université de Melbourne2 se veut un routard des temps modernes qui ne s’encombre d’aucun bien matériel sinon d’une fortune personnelle accomplie dans le Web. Laquelle lui permet de sillonner la planète au gré de ses pérégrinations investigatrices. Tout juste lui connaît-on un passé un peu sulfureux de geek activiste et de hacker qui lui a valu quelques démêlés avec les autorités policières.

Côté look, l’homme ne laisse pas indifférent non plus. Grand, svelte et chevelure platine, il joue facilement de ce physique avantageux qu’il appuie d’un envoûtant regard oscillant entre une posture ténébreuse et l’œil malicieux de celui qui se joue des pouvoirs. Si pendant longtemps il a épousé une allure d’informaticien baroudeur un peu dépenaillé, il a opté récemment pour un style plus sobre à la « Men in Black » qu’il décline depuis à chaque intervention publique comme lors du colloque sur l’information en temps de guerre le 14 août dernier à Stockholm.

Ces attributs que les médias ont largement repris lui ont été fort utiles pour se bâtir une aura hybride messianique, à mi-chemin entre prophète de l’information numérique et chevalier du journalisme alternatif en croisade. A cet égard, son premier blog « IQ.org » contenait déjà les germes avancés de la profession de foi éditoriale qu’il concrétisera ensuite avec la création de Wikileaks. Aujourd’hui, il n’hésite pas à s’autoproclamer le « service de renseignement du peuple » et à « changer le monde en abolissant le secret officiel ». Une posture missionnaire qu’il a réaffirmée en juillet dernier au cours d’une très courue conférence TED à Oxford devant un parterre de spectateurs huppés issus de l’univers des nouvelles technologies.

Lorsque la pythie des news ne court pas les pupitres des conférences pour évangéliser le public, Julian Assange délivre ses oracles quotidiens via son fil Twitter qui rassemble près de 121 600 abonnés (au 24 août 2010) mais qui présente la particularité de ne suivre … personne ! Au journaliste du Monde, Yves Eudes qui l’interrogeait en août dernier, il brosse en résumé l’autoportrait protéiforme suivant3 : « Je suis militant, journaliste, programmeur de logiciels et expert en cryptographie, spécialisé dans les systèmes conçus pour protéger les défenseurs des droits de l’homme ». Ni plus, ni moins !

Un décorum libertaire soigneusement cultivé

Philosophie libertaire et Internet libre sont les valeurs de Wikileaks

L’environnement dans lequel il campe son personnage à la proue de Wikileaks, n’est pas non plus laissé au hasard. Le profil de l’entreprise éditoriale s’inspire pleinement de la philosophie des chantres de l’Internet libre. Presque homonyme avec sa célèbre devancière, l’encyclopédie collaborative Wikipedia, Wikileaks se veut à ce titre un organisme à but non lucratif. A travers ce dernier baptisé The Sunshine Press, le site vit de donations et de levées de fonds individuelles via un unique mode de paiement qui sonne très Web 2.0 : PayPal ! Un financement qui exclut volontairement en revanche les banques et les entreprises afin de préserver l’indépendance du site.

Le mode de fonctionnement de Wikileaks est également symptomatique du credo de l’Internet libre. Pour cela, il repose sur le concept des « lanceurs d’alerte » (connu dans le monde anglo-saxon sous le terme de « whistleblowing »).

Défenseurs des droits de l’homme, technophiles, citoyens avertis, journalistes d’investigation sont ainsi invités à divulguer des informations compromettantes aux employés bénévoles de Wikileaks (dont le nombre est estimé à 5 aujourd’hui mais sur lequel Julian Assange entretient un flou permanent) via un système informatique maison à base de formulaires sécurisés, de courriels cryptés et de serveurs redondants pour éviter tout sabotage externe ou intrusion indélicate. Cette discrétion forcenée est véritablement la marque de fabrique de Wikileaks pour préserver le maquis de ses informateurs (800 à un millier de bénévoles répartis dans le monde entier selon diverses sources).

Enfin, pour parachever ce capiteux parfum libertaire et génétiquement pur Web 2.0, Wikileaks bénéficie du soutien d’associations de hackers et de militants des logiciels libres à travers la planète entière comme par exemple le hacker et officieux porte-parole de Wikileaks aux Etats-Unis, Jacob Appelbaum. Une sommité de l’Internet libre très impliquée par ailleurs dans le Tor Project, un projet de logiciel libre informatique pour communiquer anonymement sur Internet. Dans le même registre, Wikileaks est également hébergé par une entreprise qui abrite par ailleurs le sulfureux site The Pirate Bay, site de téléchargement illégal de contenus musicaux et vidéo. Sans parler de l’appui officiel reçu de l’émanation politique du site scandinave qui dispose de deux députés au Parlement européen depuis les dernières élections.

Des coups médiatiques pour marquer les esprits

Depuis sa fondation, Wikileaks affiche un impressionnant tableau de chasse. Parmi les cibles épinglées, on trouve des informations aussi variées qu’épineuses comme le blanchiment d’argent opéré par la banque suisse Julius Baer (en procès actuellement avec le site), la faillite frauduleuse de la banque islandaise Kaupthing, la pollution mortelle de la société Trafigura en Côte d’Ivoire, la corruption de membres du pouvoir au Kenya, les violations des droits de l’homme de l’administration américaine dans le camp de prisonniers de Guantanamo à Cuba. La liste est particulièrement fournie et n’épargne aucun domaine, ni aucune zone géographique du monde.

Toutefois, c’est en avril 2010 que l’activisme investigateur de Wikileaks connaît véritablement son heure de gloire. Le 5 de ce mois, le site frappe fort en mettant en ligne une vidéo intitulée « Collateral murder ». Tenues secrètes jusqu’alors par les autorités militaires américaines, les images sont accablantes. Elles révèlent une abominable bavure de l’armée US en Irak. Avec acharnement et sans états d’âme, deux hélicoptères tirent et tuent à la mitrailleuse 30 mm une douzaine de civils dont deux photographes de l’agence de presse Reuters. L’information est répercutée par les télévisions du monde entier et le gouvernement américain sommé de s’expliquer sur cet acte de barbarie.

Pour Wikileaks, c’est le jackpot sur toute la ligne. En s’attaquant à la première puissance mondiale aussi frontalement, le site sort du succès d’estime restreint dont il jouissait auprès des initiés pour devenir un acteur notoire du monde de l’information. De ce coup d’éclat, Wikileaks ne tarde guère à en faire fructifier la cagnotte médiatique en publiant en juillet 2010 de nouveaux documents militaires américains top secret sur la guerre menée en Afghanistan. Les fichiers dévoilent la réalité crue et kafkaïenne du bourbier mortel dans lequel s’empêtrent les « boys » et leurs alliés.

Cette fois, le sacre journalistique de Wikileaks est acquis. Nombreux sont les éditorialistes du monde entier qui n’hésitent pas à établir de glorieuses comparaisons avec les « Pentagon papers » révélés en leur temps par le New York Times. Des documents qui mettaient à jour les mensonges éhontés de l’administration Lyndon Johnson sur la guerre contestée du Vietnam et qui hâtèrent le retrait définitif des soldats américains. Julian Assange lui-même est dithyrambique. Il n’hésite pas à qualifier son scoop d’équivalent à la divulgation des archives secrètes de la sinistre police est-allemande, la Stasi en 2003.

Alléluia, le futur du journalisme est-il là ?

Pareils thuriféraires se retrouvent également dans la communauté des blogueurs et experts du Web. Ainsi, Jeff Jarvis, journaliste reconnu et auteur du livre blockbuster La Méthode Google, juge que4 « Wikileaks fournit un travail qu’un journal ne voudrait ou ne pourrait pas faire. Et pour un gouvernement ou une entreprise, un journal est plus facile à attaquer ». Sur son blog « Sur mon écran radar », Jean-Christophe Féraud, par ailleurs journaliste nouvelles technologies et médias aux Echos, se réjouit de voir un nouveau souffle pour le journalisme d’investigation à travers le coup réalisé par Wikileaks. Avec précaution toutefois, il pense discerner « une renaissance possible du métier dans son expression la plus noble et la plus radicale ».

Autre blogueur émérite, Enikao, lui emboîte d’ailleurs le pas en commentant l’avis de Jean-Christophe Féraud5 : « On peut aussi être un peu plus optimiste et voir dans Wikileaks une stratégie de contournement : là où certains médias seraient gênés aux entournures pour révéler une info (sur leur actionnaire ou sur un gros annonceur), la stratégie grandiloquente de Wikileaks (conférence publique, mystère et tout le toutim) peut éventuellement permettre aux journalistes de traiter l’information avec l’angle vaguement innocent du « spectaculaire », façon ‘oh la vache vous avez vu ce que Wikileaks vient de révéler ?’ ».

Des réflexions qui trouvent écho chez d’autres observateurs pointus du Web et de l’information. Sur son site Novövision, Narvic estime que l’approche technologique de Wikileaks ouvre des perspectives pour la presse traditionnelle6 : « Ses documents numérisés seraient répartis sur différents serveurs, dans des pays aux législations sur la presse différentes. Ils circuleraient en permanence entre ces serveurs par des « tunnels » informatiques sécurisés, noyés dans une masse considérable de « fausses données » destinées à les dissimuler. C’est un recours intéressant, quand on voit que même une démocratie comme la Grande-Bretagne avait permis qu’on empêche The Guardian de publier les documents de l’affaire Trafigura ».

Ancien rédacteur en chef et fondateur du Post.fr, Benoît Raphaël est encore plus catégorique concernant l’apport journalistique de Wikileaks qu’il considère comme l’équivalent d’une « social newsroom » bien utile pour les médias classiques7 : « On ne parle pas de journalisme citoyen, mais bien d’un partage des compétences. Avec Wikileaks, cette dimension participative va jusque dans l’organisation de la récupération et de la révélation de données inédites dans le cadre du journalisme d’investigation ».

Eden éditorial ou obscure machine à manip’ ?

Devant un tel déferlement de louanges, Wikileaks incarne-t-il pour autant l’Eden journalistique que les tenants de l’alter-information numérique n’ont de cesse de promettre face aux médias traditionnels aujourd’hui en pleine crise de crédibilité et de respectabilité ? Est-il réellement une alternative éditoriale aux oligarques de l’information et à la nomenklatura journalistique si décriés pour leurs compromissions et renoncements envers les pouvoirs politiques et économiques ?

Avec Wikileaks, certains se réjouissent de voir au rebut ces intermédiaires « véreux » qui triturent et brident l’information selon leurs intérêts. Chacun peut accéder désormais en direct à la réalité des choses et s’investir activement en tant qu’émetteur et/ou récepteur sans devoir passer par les fourches caudines des possesseurs des circuits médiatiques. Si l’on écoute les prophéties de Julian Assange et de ses panégyristes, on peut effectivement être tenté de voir Wikileaks comme la réponse citoyenne et démocratique face à des médias timorés et parfois verrouillés de l’intérieur.

Si l’histoire est belle, il convient de savoir raison garder à l’égard de Wikileaks. A son corps défendant, Internet est ainsi devenu un terrain de jeu très prisé pour distiller sa propre logique informationnelle. Sur fond d’ostracisme médiacratique, nombreux sont les sites à s’engouffrer dans la brèche de l’information communautariste et conspirationniste tout en professant paradoxalement (et abusivement !) une volonté d’ouverture et le respect de la liberté d’opinion de chacun.

Narvic fait notamment état des questions soulevées par le journaliste américain Jim Barnett. Spécialiste du journalisme à but non lucratif, il s’interroge franchement sur les motivations exactes de Wikileaks8 : « Si Wikileaks veut promouvoir la transparence, qu’il commence par l’appliquer à ses propres activités ». Ce n’est effectivement pas là le moindre des paradoxes que recèle Wikileaks. Il est bien malaisé par exemple de savoir qui finance vraiment le site et de quelles imbrications exactes bénéficie-t-il pour continuer ses opérations.

Bien que des grands noms des médias continuent d’accorder du crédit éditorial à Wikileaks, d’autres commencent à prendre leurs distances. Newsweek a ainsi récemment publié un article se demandant s’il ne fallait pas lancer à son tour l’alerte à l’égard de Wikileaks pour son manque criant d’éthique. De respectables ONG de défense des droits de l’homme (dont Amnesty International et Reporters Sans Frontières) se sont également émues des pratiques un peu laxistes de Wikileaks. En publiant les « warlogs » d’Afghanistan, le site a aussi laissé fuiter les noms des Afghans qui aident les forces américaines sur le terrain. Dans le genre information responsable, on a connu mieux ! L’éditorialiste du Washington Post, Marc Thiessen, cogne encore plus rudement en réclamant purement et simplement l’arrêt de Wikileaks au motif que le site est une entreprise criminelle.

D’anciens fervents alliés se détachent également de Wikileaks. C’est le cas de l’association conspirationniste ReOpen911 qui milite pour le réexamen des enquêtes sur le 11 septembre 2001. Celle-ci espérait que Wikileaks soit un auxiliaire de taille dans son objectif de réviser l’histoire officielle des attentats du World Trade Center à New York. Pas de chance, Wikileaks n’a pas donné le résultat escompté. Le site est aujourd’hui accusé par ReOpen911 d’être manipulé par la CIA. Dur d’être un héros de l’information !

La théorie du complot en toile de fond

Le fondateur de Wikileaks recourt souvent à la théorie du complot pour faire face aux oppositions

Avec l’émergence des sites d’information alternative et devant la récusation des grands médias, la théorie du complot fait régulièrement florès. En cas d’adversité et/ou de résistance trop forte, il est de plus en plus fréquent de voir brandie en retour la rhétorique conspirationniste.

Pour s’en convaincre, il suffit de se souvenir de l’incroyable écho médiatique que le journaliste et animateur du Réseau Voltaire, Thierry Meyssan est parvenu à générer autour de sa thèse révisionniste de l’attentat du 11 septembre sur le Pentagone : jamais aucun avion ne s’est écrasé sur le bâtiment du département de la Défense du gouvernement américain. Les destructions sont l’œuvre d’un missile que le complexe militaro-industriel américain aurait lancé pour justifier a posteriori des interventions militaires au Moyen-Orient. Grâce à une habile stratégie militante sur Internet et en dépit des sévères critiques des médias, il parvient à mobiliser. Il fera même un énorme succès de librairie avec son livre-enquête L’Effroyable Imposture (300 000 exemplaires écoulés).

Internet est véritablement devenu un champ de bataille où information et militantisme se côtoient sans parfois parvenir à se distinguer clairement. Le mystère cultivé autour de Wikileaks par Julian Assange a par conséquent de quoi laisser dubitatif sur les intentions profondes et réelles de son fondateur. A mesure qu’il empile les scoops et les révélations, il doit affro”znter les réactions adverses. Réactions qu’il esquive et impute à son tour sur le compte bien pratique de la théorie du complot.

Lors de ses interventions publiques, Julian Assange ne se prive pas en effet pour narrer par le menu les petites tracasseries et grandes menaces dont il semble faire l’objet. A ses yeux, les enquêtes policières australiennes, américaines et britanniques sur Wikileaks et la mise sous surveillance de certains des militants procèdent d’un harcèlement destiné à protéger des intérêts puissants.

Avec lui, les anecdotes complotistes abondent. Il dénonce le gouvernement australien de retenir son passeport pour l’empêcher de faire son travail ou le fait qu’il ne peut pas pénétrer le territoire américain sous risque d’être embastillé illico. Il s’étonne ouvertement de la suppression du compte Wikileaks sur Facebook. Il narre volontiers la tentative d’assassinat au Kenya à son encontre après qu’il eut révélé la torture et l’assassinat de deux opposants kenyans.

Scénario haletant pour fier-à-bras éditorial

Plus les oukases de la CIA et la Maison Blanche s’abattent sur Wikileaks et réclament la fermeture du site, plus Julian Assange conforte son image d’inflexible prophète de l’information libre. C’est ainsi qu’il a fait part de son intention d’immatriculer son site en Suède. Pays où les lois n’autorisent pas la censure et sont très protectrices en matière de liberté de la presse et de confidentialité des sources. Et histoire de montrer qu’il ne cède pas aux pressions, il a récemment annoncé qu’il va récidiver en publiant 15 000 nouveaux documents sur la guerre en Afghanistan.

Le dernier avatar en date que Julian Assange a dû subir, relève du même mécanisme. Mis un peu trop vite et trop légèrement en examen par un procureur suédois zélé pour viols et violences commis sur deux jeunes femmes, le fondateur de Wikileaks a aussitôt rebondi pour clamer son innocence9 : « Je ne sais pas qui est derrière mais nous avons été prévenus que le Pentagone, par exemple, pensait utiliser des coups bas pour nous détruire. Et on m’a notamment mis en garde contre des pièges sexuels ». Un peu de conspirationnisme pour alimenter la légende naissante ?

Conclusion : Wikileaks ou peut-on vraiment être journaliste à la place du journaliste ?

Sans être non plus méprisé ou ignoré, Wikileaks comme ses succédanés dopés au journalisme participatif, doit malgré tout activer la vigilance éditoriale des journalistes plutôt que l’excitation animale du scoop en puissance. Avec l’avènement de ce type de sites, l’arène de l’information a acquis une autre dimension où plus que jamais, le rôle du journaliste va être fondamental pour soutenir ou bien contrer ces guérilleros de l’information. La profession journalistique dispose là d’une opportunité unique de reconquérir ses lettres de noblesse. Dans le labyrinthe de l’information numérique, le citoyen même averti a de plus en plus besoin d’une expertise éditoriale et d’une vigie éclairante que seuls les journalistes peuvent dispenser avec qualité.

L’enjeu est fondamental. Veut-on désormais d’une société où la diffusion de l’information est l’apanage de « n’importe qui » mué par ses uniques croyances et/ou ses intérêts communautaristes au prétexte quelque peu fallacieux que les médias « officiels » sont aux ordres des dominants et véhiculent une dictature informationnelle ? Veut-on que des groupuscules hurlants mais bien organisés, sous prétexte d’être plus blanc que blanc pour paraphraser le regretté Coluche, s’arrogent le droit de décréter ce qui est information et ce qui ne l’est pas, tout en instillant perversement un climat de peur, de conspiration et de magouille ?

Peut-on raisonnablement croire une seule seconde qu’un citoyen s’auto-bombardant journaliste accomplira un meilleur travail d’enquête qu’un professionnel patenté ? Figure du journalisme français, Edwy Plenel tient à rappeler que générosité et curiosité sont des10 « conditions nécessaires mais non suffisantes. Elles ne le sont que si sont mises en œuvre toutes les procédures propres à l’exercice professionnel, rigueur, précision, recoupement, opinions contradictoires ».

Malgré l’avalanche de blâmes récurrents, les journalistes restent encore (mais pour combien de temps ?) considérés comme des acteurs influents de la société française dans l’évolution des valeurs et des comportements. Selon une étude publiée en avril 2009 par l’Observatoire des influences, 59% des personnes interrogées leur reconnaissent ce rôle prééminent face aux groupes d’intérêt et aux lobbies même si leur appréciation demeure dans le même temps, teintée d’une forte coloration de défiance.

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Billet initialement publié sur le blog du Communicant

Voir tous nos billets sur Wikileaks, ainsi que notre billet sur les Warlogs, et celui qui revient sur une facette moins connue de la personnalité de Julian Assange.

Crédits Photos CC Flickr : Espenmoe, Biatch0r, Alexcovic, Elliot Lepers.

Pour en savoir plus

  1. Guillaume Grallet – « L’homme qui fait trembler le Pentagone » – Le Point – 29 juillet 2010 []
  2. Ibid. []
  3. Yves Eudes – « L’Australien qui fâche les Etats-Unis » – Le Monde – 17 août 2010 []
  4. Alexandre Hervaud – « Wikileaks, scoop toujours » – Libération – 28 juillet 2010 []
  5. Jean-Christophe Féraud – « Wikileaks : comme une embuscade dans la jungle de l’info » – Sur mon Ecran Radar – 7 avril 2010 []
  6. Narvic – « Wikileaks ou comment le journalisme alternatif a intégré « le système » – Novövision. – 31 juillet 2010 []
  7. Benoît Raphaël – « Wikileaks, un modèle pour les médias ? » – La Social Newsroom – 28 juillet 2010 []
  8. Jim Barnett – « Wikileaks and a failure of transparency » – Nieman Journalism Lab – 29 juillet 2010 []
  9. Olivier Truc – « Le fondateur de Wikileaks victime d’un excès de zèle de la justice suédoise » – Le Monde – 24 août 2010 []
  10. Serge July, Jean-François Kahn et Edwy Plenel – Faut-il croire les journalistes ? – Editions Mordicus – 2009 []

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