Terrorisme islamiste: la France en trompe-l’oeil

Le 23 avril 2011

Le rapport d'Europol sur le terrorisme dans l'UE montre que la France est le pays qui arrête le plus d'islamistes présumés. Mais les apparences peuvent être trompeuses...

Comme chaque année, Europol, l’office de police européen, a mis en ligne son rapport [PDF] [EN] sur le risque terroriste dans l’Union. Quelques mois après les déclarations tonitruantes de Bernard Squarcini, le patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) – il affirmait que la menace d’une attaque kamikaze “[n'avait] jamais été aussi grande” – la situation a-t-elle évolué ? “La France championne des arrestations antiterroristes”, titrait Le Figaro mercredi 20 avril, sur une tonalité résolument moins alarmiste :

La France a réalisé à elle seule plus de la moitié des arrestations d’islamistes radicaux en Europe en 2010: 94 interpellations sur 179 au total. Ce qui en fait, en quelque sorte, le premier rempart contre cette menace sur le territoire de l’Union.

Dans les faits, c’est une réalité confirmée par les chiffres. Mais le nombre d’interpellations est-il le meilleur référent pour évaluer l’efficience des moyens mis en Å“uvre par les autorités françaises ? Sur les tableaux fournis par Europol, on constate que la France mène la danse, avec pas moins de 219 arrestations en 2010. L’Espagne arrive en deuxième position, avec 118 cas, et l’Irlande, troisième du classement, n’a arrêté “que” 62 terroristes présumés, soit 3,5 fois moins que la France.

Dans le tableau ci-dessus, on réalise le poids des islamistes dans le total français, puisqu’ils représentent le deuxième contingent, derrière les séparatistes. On peut en tirer deux enseignements:

  • Comme le montrent les premières analyses du rapport, il faut prendre en considération la part de l’extrême-gauche et des mouvements indépendantistes ou autonomistes dans le terrorisme européen. Et il s’agit même du fait le plus saillant. L’année dernière, en recensant les terroristes incarcérés sur le sol français pour Slate.fr, j’avais déjà remarqué le poids des groupuscules régionaux, très éloigné de la typologie monomaniaque du “risque islamiste”.
  • Qu’en est-il du nombre de poursuites effectives? C’est ce que j’ai essayé de regarder en construisant l’histogramme ci-dessous, qui confronte le nombre d’interpellations, mis en avant dans les médias, au nombre de dossiers instruits par la justice. Pour plus de lisibilité, j’ai circonscrit le champ de l’analyse aux cinq pays “leaders” en la matière : l’Espagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et l’Irlande.

En regardant de plus près ce graphique, on voit tout de suite émerger le particularisme français. Si nous sommes effectivement les premiers à arrêter les islamistes radicaux présumés, nous sommes aussi le pays qui les remet le plus en liberté. Sur 94 arrestations en 2010, seuls 14 cas ont fini devant les tribunaux. Le chiffre est d’autant plus significatif que les données fournies par Europol comptabilisent les condamnations et les acquittements. Par ailleurs, la valeur absolue est parfois supérieure au nombre d’arrestations (c’est le cas pour l’Espagne), car certains individus sont poursuivis dans plusieurs dossiers.

Les terroristes séparatistes (notamment corses ou basques) affichent un ratio tout aussi contrasté, mais il faut prendre en compte le fait que de nombreux membres d’ETA arrêtés en France sont jugés en Espagne (123/26 pour la France, 104/155 pour l’Espagne). De là à penser que les autorités françaises font du zèle avec l’islamisme ?


> Article publié initialement sur le Datablog OWNI

> Crédits photo: Flickr CC sunnyUK

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