La voiture individuelle: une idée bonne pour la casse!

Préoccupations écolos, saturation urbaine et crise et c'est la fin du règne de la voiture individuelle au profit du véhicule serviciel et du partage. L'occasion de se pencher sur les projets les plus prometteurs.

Ce dossier en trois volets explore la mutation du marché automobile. Que comprendre des signes que ne cesse de produire la demande ? Qu’entendre derrière ces initiatives brouillonnes de l’offre ? Quelle place pour les autorités dans ces perspectives de maîtrise des mobilités ? Quid du jeu d’acteurs qui chamboule les positions bunkerisées des constructeurs ? Comment le numérique urbain rend-t-il possible techniquement et économiquement des innovations de rupture ?

#1 La flambée des ventes en Chine, Inde… masque les reculs des marchés en Europe, Etats-Unis et un ralentissement de la croissance chez les premiers… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, des signes de saturations se multiplient déjà en Chine.

#2 Les incitations fiscales des états agissent comme “effets d’aubaine” et reculent le constat d’une dégradation de la demande. Quand les pouvoirs publics prendront-ils la mesure de l’opportunité d’une filière productrice de valeurs et d’externalités positives ?

#3 Le glissement du marché vers des modèles de taille réduite et des modèles low cost masque une baisse en valeur du marché et une dégradation de l’auto comme produit phare des consommations. Pourquoi cet acharnement d’une logique consumériste des constructeurs quand les usagers réclament le droit d’usage ?

#4 La progression des ventes vers les flottes dissimule la chute des ventes aux particuliers. Début de l’ère des partages ?

#5 La stagnation du parc des véhicules particuliers cache une baisse des usages automobiles en portée et en fréquence. Quand la baisse des usages se convertira-t-elle en achats de services ?

#6 La stabilité de ce parc est trompeuse car si les zones captives de la voiture consolident leur demande, celle-ci s’érode depuis un certain temps dans les grandes villes. Quand la dimension contraignante des villes s’étendra t-elle aux autres territoires pour produire là aussi de l’innovation ?

#7 La vision d’une flotte électrique ne peut masquer qu’une voiture reste une voiture, avec des séquelles qui dépassent les maigres bénéfices de l’électrique. Quand les constructeurs admettront-ils que la valeur se déplace de l’objet – même électrique – au service ?

#8 Last but not least, derrière l’apparente crispation des automobilistes sur “leur” voiture personnelle, on entrevoit un puissant crédit d’avenir des usages de la voiture publique et de la VDA (la “voiture des autres”). Comment transformer ce désir en offres pertinentes ?

La batterie de constats (“Peak-Car” ou les futurs de l’auto) pose plus de questions qu’elle n’en résout. À tout le moins, on sait que le marché réagit à la première alerte du prix du carburant ou quand l’État dégaine ses subventions ou encore lorsque les congestions se font insupportables.

In fine, mêmes les instances publiques en conviennent par le truchement du Centre d’analyse stratégique :

Le système automobile tel qu’il s’est bâti au fil du 20e siècle n’est plus soutenable.

Les constructeurs aussi se rendent à l’évidence : « Pour Vincent Besson, directeur du plan produit de PSA, c’est la première révolution copernicienne du secteur. ‘Nous devons passer de la voiture à la mobilité’. » (Next/Libération, 4 juin). Les mêmes mots, à un mot près (« Nous devons passer du transport à la mobilité »), répété à l’envi depuis des années par Georges Amar et sous d’autres formes dans ces colonnes. Cela passe, qu’on le veuille on non, par le « peak car », c’est-à-dire l’inverse de ce qui se fait depuis un siècle, donc renier les canons de la croissance et l’extension du parc. Dieu qu’il est difficile de se tirer une balle dans le pied !

Un espace sur-occupé par une voiture sous-utilisée

Il faut donc s’attendre à des changements de cap majeurs. Au premier janvier 2010, le parc automobile français comptait 37,4 millions de véhicules, soit près de 600 voitures pour 1.000 habitants. Plus d’une voiture pour deux habitants pour des véhicules comportant en général quatre ou cinq places, plus de 60% des ménages qui détiennent au moins une seconde voiture, et cela dans un pays où la population est urbaine à 82%

Même en tenant compte de l’étalement urbain et de l’inflation des déplacements, on comprend vite que l’équilibre de l’équation « parc disponible = nombre de déplacements et ± nombre de places de stationnement » se fait au prix d’une large sous-utilisation du parc et d’une non moins large sur-utilisation du stationnement urbain. Les modes de vie épousant ce modèle ont renforcé la logique de la voiture individuelle et de « la ville occupée » (par la voiture). On ne connaît pas la source du chiffre de 5% de taux d’utilisation moyen d’une voiture, mais il est largement repris et semble intuitivement correct. On sait en revanche que le taux d’occupation de la voiture en usage est dérisoire (1,1 personne par voiture pour les trajets pendulaires et 1,6 pour les déplacements liés aux loisirs).

C’est là que se joue la suite de l’histoire, dans la recherche d’autres productivités. Mais ces dernières bousculent radicalement des modèles d’usage bien établis, des modèles économiques lourdement ancrés, un cadre social qui a puissamment intégré la voiture et un territoire dont l’architecture a pris appui sur son développement. Aujourd’hui le premier vacille, les seconds chancellent, le troisième doute fortement et le quatrième est essoufflé. Revue d’une prospective du présent en adoptant une lecture volontariste, la seule qui vaille en la matière.

En France, les loueurs traditionnels, avec un parc de 150.000 automobiles, entreprennent d’explorer d’autres modèles. Ils ne sont pas les seuls. Selon l’EPOMM, il y aurait plus de 400.000 abonnés à un service d’auto-partage en Europe, principalement en Suisse (Mobility), en Allemagne, aux Pays-Bas, en Belgique et au Royaume-Uni. De son côté, Frost & Sullivan prédit que 5,5 millions d’Européens souscriraient à un programme d’auto-partage en 2016, soit – selon l’institut – quelques 77.000 véhicules en auto-partage. Qui assurera la gestion de ces flottes et dans quels modèles ? Constructeurs et prestataires en tout genres guettent les opportunités.

L’auto-partage est une solution d’avenir pour 47% des Français, 60% accordent un crédit d’avenir au covoiturage tandis que seuls 18% accordent le même crédit à la voiture particulière ; 82% des français ainsi pensent qu’il faut diminuer le nombre de voitures circulant dans les villes (TNS Sofres, “Auto-mobilités”, 2010). Chacun entrevoit derrière ces chiffres un marché de services énorme mais tous tâtonnent. Impossible en l’état de tracer des lignes entre les modèles émergents. Covoiturage, auto-partage public, privé, location de courte durée, transport à la demande, taxi collectif… les issues sont multiples et le resteront sans doute.

Face au modèle monolithique de la voiture particulière, tout dit que les offres seront demain plurielles pour offrir la plus grande flexibilité et s’adapter aux multiples situations de mobilité. Pour autant, les avancées s’opèrent dans la confusion. La plainte de l’Union des Loueurs professionnels contre Autolib’ souligne la remise en cause des périmètres acquis. Ils ne cesseront de l’être dans cette quête d’équilibre. Tour d’horizon des partages et des remises en cause.

Moins de ventes, plus de services

Un analyste américain recourt à la métaphore du schéma de Ponzy (cf. Madoff) pour signifier la fuite en avant insoutenable mais pourtant irrépressible des infrastructures publiques. La seule solution pour éviter une dégringolade de la Pyramide est de trouver des solutions de productivité drastiques ; non dans le carburant ou la motorisation mais dans le service de la voiture. « On peut tripler ou quadrupler la capacité du système routier », affirme The Transport Politic, en animant le partage automobile.

Faire de l’auto une ressource collective et améliorer sa productivité, là s’arrête la ressemblance entre les offres. Le covoiturage partage des trajets ; l’amélioration de la productivité qu’il apporte tient à l’augmentation du « taux d’occupation » du véhicule et donc à la réduction du nombre de voitures en circulation à un même moment. Avec l’auto-partage, on agit sur le « taux d’usage », soit le nombre de déplacements. Les résultats pour la collectivité sont les mêmes. Pour cumuler leurs effets et maximiser « le taux d’utilisation », il faudrait que le système soit sacrément huilé. Ce qu’il n’est pas encore.

On commence à entendre que les taxis déclinent ces principes depuis longtemps et peuvent consolider leur statut de transports collectifs; d’autres systèmes aussi – moins répandus – comme le transport à la demande – se proposent. Des développements sont à attendre sur des registres divers : accessibilité, stationnement, retour au point de départ, abonnement, tarif, places de marché et plus généralement toutes les formes d’intégration de la voiture au marché unique des mobilités.

L’innovation se développe grossièrement sur deux voies très différentes, voire antinomiques. La voie classique, portée par la modernité de la machine, explore les petits modèles, le carburant électrique, la sobriété énergétique, les automatismes… L’autre piste admet que le salut de la voiture n’est plus dans l’objet. Donc on parle « modèle ». Tiraillés entre la logique industrielle et capitalistique d’une fatalité de la croissance d’une part et un modèle serviciel qui signe la décroissance à terme des ventes, les constructeurs sont forcément schizophrènes et les acteurs concurrents sont en embuscade, voire déjà dans la place.

Ainsi, ce n’est pas un constructeur qui signe la première grande opération publique-privée d’auto-partage. Avec Autolib’, Bolloré investit 200 millions d’euros – autant dans la batterie que dans des modèles d’usage actuels –, prenant des risques qu’aucun constructeur n’envisageait. « Notre hypothèse, dit Vincent Bolloré aux Echos, c’est que nous compterons plus de 100.000 abonnés au bout de la troisième année et neuf utilisateurs par jour et par voiture soit à peu près neuf heures d’utilisation journalière d’un véhicule. A partir de là, nous commencerons à gagner de l’argent. » Sans doute optimiste !

Ce n’est pas non plus un constructeur, ni même un loueur, qui prend un autre risque – celui de l’autopartage privé, au milieu d’autres initiatives – c’est un réseau de… mobilités, Mobivia. Ces différences de logiques et de trajectoires troublent un marché établi et se concluent dans une offre hétérogène, souvent brouillonne. L’innovation bat son plein avec des modèles loin d’être stabilisés. Quels acteurs tireront leur épingle du jeu ? Ceux qui auront une vision globale, car toutes ces offres s’inscrivent dans une logique de « gestion de flotte » professionnelle et particulière, elle-même enchâssée dans un « marché unique des déplacements ».

La voiture, un transport en commun en devenir ?

Le récent succès de l’introduction du pionnier ZipCar à la bourse de New York étonne quand on sait que l’entreprise est déficitaire depuis dix ans. Il étonne moins quand on connaît son expansion régulière, l’enthousiasme des usagers, sans oublier la récente rafale d’annonces dans ce secteur (une chronologie de l’autopartage sera publiée dans le volet 3). Les loueurs automobiles étaient concentrés sur des locations de longue et moyenne durée adressée aux entreprises. Pour les locations au fil de l’eau (en France, dix millions de locations l’an passé, en augmentation de 6,7% sur un an), la clientèle bascule brutalement vers les particuliers et vers les jeunes. La clientèle loisirs génère désormais 60% de l’activité contre 30% il y a 15 ans (source Les Echos).

La prochaine étape est celle de la flexibilité – des durées courtes et variables – et de la complétude – la couverture garantie des divers usages. L’auto-partage classique en effet n’y suffit pas. Il ne fait qu’une partie du chemin, celui des déplacements de proximité. On peut avoir aussi besoin d’une voiture pour un week-end ou des vacances. Plusieurs y ont pensé. Sauf qu’aucun réseau n’a la granularité suffisante pour servir toutes les occurrences et toutes les échelles de mobilités. Cela soulève les enjeux de la station, du stationnement et de leurs réseaux, condition incontournable des développements des partages et d’une marché intégré des transports.

L’auto-partage rend accessible un parc de voitures en location de très courte durée, à l’image du Vélib’ pour les vélos. Les options – avec retour à la base ou non, communautaire ou non, électrique ou non, intégré ou non, privé ou public… – multiplient les combinaisons. De fait, la location très courte durée n’est plus loin de l’auto-partage public, posant la question de son statut. Hors c’est précisément la raison pour laquelle les loueurs ne veulent pas reconnaître la mission de service public accordée à Autolib’. Face à cette situation, en Amérique du Nord la Car Sharing Association entend consolider la dimension éthique de l’auto-partage, excluant les sociétés de location (voir l’entretien Chronos de Marco Viviani, Communauto).

La ville d’Hoboken aux Etats-Unis a mis en place un service d’auto-partage avec Hertz pour affronter les limites insurmontables du stationnement. C’est dire le rôle crucial du stationnement dans l’auto-partage. C’est la chance des partages : garantir des places de stationnement pour les voitures servicielles. La maîtrise du stationnement en surface est aussi l’opportunité que les villes doivent saisir pour orienter le marché. Le stationnement préférentiel accordé à Autolib’ (750 euros la place, soit 2 € par jour) signe sa mission de service public. Ce tarif s’analyse comme une subvention quand il est mis en balance avec le coût de création d’une place de parking souterrain à Paris, 20.000 € à 30.000 €. La voiture devient un service public de facto.

L’objectif est alors de trouver un nouvel équilibre entre l’espace (fixe ou mobile) dédié à la voiture en ville et aux autres modes qui en ont cruellement besoin. Donc favoriser la réduction progressive de l’emprise de stationnement pour les voitures particulières, si l’analyse est conséquente. L’histoire parisienne récente montre la voie. A Paris, on est passé de « gardez votre voiture, mais ne l’utilisez pas » (incitation au parking résidentiel), à « si vous circulez, ce sera moins vite » (la multiplication des zones 30). Il manque encore de franchir un pas vers « et si vous circuliez autrement » qu’esquisse timidement Autolib’. Une question de temps. L’épisode récent du recul politique sur l’affaire des radars rappelle qu’il faut être habile à la manœuvre pour franchir les étapes suivantes.

Les automobilistes sont plongés dans de multiples contradictions, enkystés dans un siècle de pratiques assidues d’un système automobile qui a façonné leur quotidien et redessiné leur territoire. Résultats ? Ils évaluent leur budget automobile à moins de la moitié de sa réalité. Ils se réclament des valeurs de la liberté automobile, oubliant le stress des congestions. Ils célèbrent la résidence à la campagne en se masquant les budgets temps, pollution et économie des servitudes automobiles. Et soulignent, à juste titre, l’absence d’alternatives. Ils réclament furieusement moins de voitures, au moins en ville, depuis longtemps mais persistent dans son usage. En 1998 déjà, La vie du rail titrait en double page, « Les Français sont croyants mais pas pratiquants. » Si les dimensions utilitaires de la voiture prennent le pas sur ses valeurs statutaires et ses promesses imaginaires, tout reste à faire. Mais il semble bien que le « peak car » ne soit plus loin. A suivre…

Billet publié initialement sur le blog de Groupe Chronos sous le titre “Peak-Car” ou les futurs de l’auto (1) et Du Parc à la Flotte ou les futurs de l’auto (2).

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